Titre original: Delta of Venus Erotica – 1977 – 314 p.
En cette féconde période de publications érotiques et autres «mommy porn» (50 shades of grey, Tout ce qu’il voudra, After pour ne citer qu’eux), un petit retour aux origines de la littérature érotique s’imposait; m’attendant à découvrir des écrits raffinés timidement osés, ahahah. Quelques pages feuilletées plus tard, il semblerait que ce ne soit pas, à première vue, le terme adéquat pour définir ce recueil de nouvelles écrit principalement au début des années 40. Il se trouve qu’à cette époque, Anaïs Nin entretenait une relation avec l’écrivain Henry Miller. Un mystérieux client fortuné se proposait de lui offrir 1 dollar la page pour écrire des histoires érotiques. Miller se prit au jeu mais proposa par la suite à son amante de reprendre l’écriture de ces feuilles coquines. Peu inspirée à servir des écrits authentiques, elle s’inspira d’histoires entendues ça et là auxquelles elle mêla un peu de fiction. «C’est très bien. Mais laissez tomber la poésie et les descriptions autres que celles du sexe. Concentrez-vous sur le sexe.» fût la réponse du mystérieux mécène. Et c’est ce qu’elle fit.
Au départ, les histoires de Vénus Érotica étaient écrites pour divertir un homme aux fantasmes cliniques, Anaïs Nin alla jusqu’à étudier le Kama Sutra pour contenter son libidineux lecteur, mais plus les histoires défilent, plus l’auteure se détache de sa contrainte première et laisse exploser toute la poésie contenue jusque là, on le ressent clairement à la lecture. Il ne s’agit pas d’une écriture réaliste mais plutôt d’un érotisme suavement mais complètement idéalisée, toutes les rencontres se terminant inévitablement par de puissants orgasmes volcaniques, d’ivresse et d’extases extraordinaires jusque-là inégalés.
Un Disney porno-érotique pour les filles?
Ce serait vraiment vilain (! bruit de fouet), réducteur de résumer ces textes de la sorte car Nin, malgré le caractère observateur, limite analytique des scènes ainsi que de l’extrême osmose cosmique des corps, nous sert ici un véritable bijou où la plupart des personnages sont également animés de puissantes et complexes personnalités aux fantasmes peu anodins. Certains passages frisent la pédophilie ou sont clairement incestueux, la bisexualité, le fétichisme, l’exhibitionisme, la plupart de ce que certains nomment «déviances» sont ici rapportées. Nin décrit des êtres confrontés autant à des désirs curieux que d’autres très anodin; une excitation qui naît grâce à une atmosphère spéciale, des vêtements (le bruit de la boucle de ceinture qui se défait), une attitude de domination, des sentiments partagés ou non, des partenaires très particuliers,… Ici on ne retrouve pas la vision si binaire de la sexualité propette. Les hommes sont femmes comme les femmes peuvent être masculines, des jeunes filles s’enflamment de leurs semblables. On n’est pas homosexuel, bisexuel ou hétérosexuel, on est unique, avec ses envies, ses désirs, ses amours et ses fantasmes inavoués.
L’auteure parvient secrètement à emoustiller le lecteur, sans même qu’il s’en aperçoive, autour de divergences sexuelles qui initialement étaient contraires à sa propre notion de délire charnel. Franche, crue, la sexualité est totale; la sensualité absolue. Et le rouge monte aux joues.
«…il leur caressait les seins, les embrassant avec avidité. Mais il avait peur de ce qu’elles avaient entre les cuisses. Pour lui, cela ressemblait à une énorme bouche humide et affamée. Il avait l’impression qu’il ne réussirait jamais à la rassasier. Il avait peur de ce gouffre séduisant, de ces lèvres qui durcissaient sous ses doigts, de ce liquide qui coulait comme la salive d’un homme qui a faim. Pour lui, l’appétit de la femme était terrible, dévorant, insatiable. Il pensait que son sexe serait avalé à jamais. Les putains qu’il avait vues avaient toutes des sexes larges, des lèvres épaisses et dures, de grosses fesses.
Que restait-il à Miguel pour satisfaire ses désirs? Les garçons, les garçons dépourvus de cette bouche gloutonne, les garçons qui possédaient un sexe comme le sien, un sexe qui ne l’effrayait pas, un sexe dont il pouvait combler les désirs. … »
Merci Anaïs
Anaïs Nin a relu ses écrits 30 ans plus tard et décida de les publier comme un geste militant, pour qu’enfin nous ayons le point de vue d’une femme sur l’érotisme, genre littéraire jusqu’alors exclusivement masculin. Elle-même a expliqué qu’elle ne se reconnaissait pas dans les «crudités» érotiques de Miller et a voulu donné à entendre ses «ambigüités». Sans que cela n’en devienne déplaisant pour les lecteurs masculins, rassurez-vous.
Née en 1903 à Neuilly-sur-Seine d’origine danoise par sa mère et cubaine par son père, elle quitte l’école à quatorze ans pour se tourner vers le mannequinnat. Abandonnée par son père, ce sont les journaux intimes qu’elle commença d’écrire suite au départ de ce dernier qui la rendirent célèbre.
Prenez le temps de découvrir, entre les pages de Venus Érotica, la nature secrète des ébats qui faisaient tanguer les alcôves de l’entre-deux-guerres de l’imaginaire de Nin, il ne sera pas perdu! Vous pourrez même vous en inspirer lors d’une éventuelle future mise en pratique.