Par Jean-Marie Jolidon
De la corne au sabot … passionnément

Démarche des auteurs

Depuis quelques années les vaches d’Hérens sont à la mode. Des journaux, des télévisions ont trouvé, dans les combats que se livrent ces bêtes, un sujet ethnologique original et spectaculaire qui fait recette. Chaque année des dizaines de milliers de téléspectateurs suivent en direct à la télévision la finale cantonale disputée à Aproz devant des tribunes pleines «d’aficionados». L’engouement est indéniable.

Les combats qui font les reines sont restés longtemps confidentiels. Ils s’exportaient rarement en dehors des vallées valaisannes. A l’époque, les combats trouvaient naturellement leur place dans la suite des activités qui occupaient les éleveurs tout au long de l’année. Si ceux-ci perpétuent la tradition, on trouve maintenant des passionnés venus d’autres horizons. Ce sont des hommes d’affaires, des marchands, des originaux parfois qui, sans être éleveurs, possèdent une ou plusieurs bêtes de combat. Cette popularité étrangère contribue aussi à établir la notoriété de la race. Nous aussi avons été conquis. Nous ne sommes pas des experts ni des propriétaires. Nous savons que notre contribution à la bibliographie spécialisée est modeste. Notre objectif était de faire ressentir des ambiances et de donner l’envie d’y aller voir en nous adressant à un large public.

Dans notre travail, nous avons choisi de ne pas nous fixer sur l’aspect impressionnant des combats. Nous avons regardé au-delà des batailles. Nous nous sommes intéressés au travail d’une famille d’éleveurs de Prarreyer dans la Vallée de Bagnes, les Michellod. Notre chance a été de rencontrer une famille dans laquelle les parents et les enfants s’investissent depuis des années avec cœur et compétences pour les noires d’Hérens. Nous les avons suivis et photographiés pendant plus d’une année. Nous avons partagé avec eux et leurs bêtes des moments d’exception qui ont permis de réaliser le livre et deux expositions. Pierre-Alain Michellod sait reconnaître dans une bête les qualités qui feront d’elle une grande combattante. Le 6 mai dernier, " Schakira " devenait reine nationale en déjouant les pronostics. Michellod l’avait acquise il y a quelques années face à un parterre d’acheteurs sceptiques. Rien encore ne laissait supposer des aptitudes combatives de l’animal. Et pourtant, il avait acheté une future reine!

Les événements sont déterminés par le rythme de vie des vaches et par la succession des saisons. Il y a un temps pour vêler, un autre pour mélanger les bêtes, un troisième pour monter au mayen, un quatrième pour alper. A côté de ces pics d’activités, souvent mis en vitrine, il y a la répétition quotidienne des besognes : soigner les bêtes, évacuer les excréments, traire, abreuver, fabriquer les pièces de fromages et le sérac, faucher, clôturer, se lever tôt et se coucher tard, résister au froid ou à la canicule. Toute la famille contribue au bon fonctionnement de cette fine mécanique. Le troupeau qui permet à la famille de vivre. La production de lait et de fromage, la vente de bétail leur apportent les revenus indispensables ; les bonnes combattantes la notoriété dans le cercle des éleveurs.

Nous avons vu une similitude entre les hommes et leurs troupeaux face à un même destin. Pour vivre dans ces vallées au relief abrupt et au climat sévère, la lutte est quotidienne. Les uns et les autres se sont parfaitement adaptés à ces conditions hostiles, appréciant, quand c’est possible, quelques rudes avantages.

Le mélange d’écurie

Au premier tintement, Toupie, qui est la descendante d’une lignée belliqueuse, racle le sol de son sabot. Elle accompagne son geste d’un inquiétant meuglement rauque. Parée, brossée, luisante, elle quitte l’écurie pour la prairie située devant la ferme. Les autres bêtes la rejoignent bientôt. C’est le mélange d’écurie. Ce moment marque un changement d’importance. La vie des bêtes, jusqu’ici confinée à l’intérieur de l’écurie, se poursuivra en plein air jusqu’à l’automne.

Une soixantaine de personnes, essentiellement des amis et des connaisseurs de la vallée, se sont rassemblés derrière la clôture électrique. Ils ne boudent pas leur plaisir. Ils échangent peu de mots. Ils laissent parfois s’échapper un «N’abandonne pas, réponds!» adressé à leur favorite. Gestes et mimiques traduisent l’essentiel, inquiétude ou satisfaction. Quelques rabatteurs munis de bâtons ont pris place dans l’enceinte. Ils veillent à la loyauté des combats.

Subitement, tout s’accélère. Le premier affrontement débute quand la troisième bête pénètre sur le pré. Bientôt elles sont maintenant toutes là. Il y en a douze. La bruyante harmonie des sonnettes réveille l’agressivité des animaux. Heureusement, deux ou trois cornes assassines ont été limées. Quelques bêtes font une démonstration de puissance : les pattes avant fléchies, le cou plaqué contre le sol, elles se propulsent avec la formidable poussée des arrières, creusant sous elles un sillon boueux. Une autre, un peu à l’écart, transperce le gazon avec ses cornes puis, d’un mouvement brusque de la tête, elle arrache une épaisse motte qu’elle expédie à plusieurs mètres. Les initiés observent, apprécient, font des comptes, commentent, établissent un classement.

Les variations du volume sonore renseignent sur l’âpreté des passes. Bientôt elles ne sont plus que deux à lutter pour conquérir le titre. Le tintinnabule cesse quand les deux bêtes sont immobilisées par l’annulation de leurs forces respectives. Un air chaud et humide s’échappe des naseaux des guerrières, une bave écumante glisse hors de leur gueule. Elles sont haletantes ; leur panse est animée par des convulsions qui traduisent leur épuisement. Soudain, après une dizaine de minutes de cet immobilisme forcé, Etoile cède sous la pression de sa rivale. Elle se dégage par une ondulation rapide de la croupe et s’éloigne. Le tintement léger de sa sonnette sonne le glas de sa défaite.

Picotte a gagné. Sa victoire est une demi-surprise. Elle a su attendre, maîtriser ses énergies, économiser ses forces pour entrer en lice au moment opportun et remporter le dernier duel. Peut-être a-t-elle mûri sa stratégie dans la moiteur sombre de l’écurie.

A l’alpage

Samedi, l’heure est matinale. Après le séjour d’acclimatation de quelques semaines au mayen, le cortège formé par les bêtes monte à l’alpage. Elles suivent docilement leur propriétaire. Picotte marche en tête, suivie à quelques mètres, mais de l’autre côté de la route, par Etoile. Deux ou trois sont à la traîne après avoir fait une courte halte gourmande.

Avant midi tous les troupeaux sont arrivés. Il y a plus d’une centaine de têtes prêtes à en découdre. Le berger qui passera la saison avec elles les a précédées. Déjà il se familiarise avec les noms, cherche les signes particuliers de chacune. Dans quelques jours il saura tout sur chacune : nom, caractère, qualités, propriétaire, titres et victoires, timbre de sa sonnette. Lever tôt, couché avec le soleil, il vivra des journées d’inquiétude et de solitude. Sa responsabilité est grande, comme la confiance qu’on lui a donnée. Elles sont prêtes, peintes et impatientes. Les fleurs éclatantes et les herbes parfumées, ce sera pour plus tard!

Le poyo a été délimité. Sa surface est accidentée avec des plats, des pentes diversement orientées, des rochers. Les familles se sont installées tout autour. Les meilleurs emplacements sont occupés depuis les premières heures du jour.

Au début le mélange est assez chaotique. Le spectacle est multiple. Reines d’écurie, anciennes reines revenues aux affaires, prétendantes ambitieuses se défient et s’affrontent pour établir leur domination. Il n’y a pas de piétaille résignée sur l’alpe. Toutes sont des combattantes nées. Il faudra du temps pour établir une hiérarchie. Ce ne sera peut-être pas pour aujourd’hui! Pour demain peut-être? On dit que la reine d’alpage est celle qui détient la couronne à la désalpe. Pendant une accalmie, à proximité du poyo, sur un rocher plat surélevé les éleveurs se sont rassemblés pour une courte prière. Quelques mots murmurés mains jointes et tête découverte sont emportés par de-là le col par une légère brise montée de la vallée.

Les auteurs

Les deux auteurs ont plusieurs points communs. Tous les deux sont enseignants, professeurs d’éducation physique, chasseurs, montagnards, amateurs de bonnes choses. Cette similitude ne pouvait pas ne pas les rassembler.

Jean-Marie Jolidon est né en 1955. Etabli à Moutier, il travaille comme enseignant et photographe. Curieux, voyageur intrépide, il exerce ses talents dans de multiples domaines. De ses périples, il a rapporté des milliers de photographies qu’il présente dans des ouvrages, des conférences, des spectacles.

Jacques Simonin est né en 1943. Directeur d’école retraité, habitant à Malleray, il s’est établi comme écrivain public depuis la fin de son activité professionnelle. Il est l’auteur de textes parus dans diverses revues et de quelques récits récemment publiés.

Le livre

«De la corne au sabot ... passionnément» est en vente au prix de CHF 38.–

Pour vos commandes:

  • Jean-Marie Jolidon (079 436 75 56 jolidon1@bluewin.ch)
  • Jacques Simonin (079 795 95 78 simonin.jacques@bluewin.ch)

Il est également disponible dans les librairies de la région.


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