La Guillotine
Le vacancier relou

La saison estivale arrive, et malgré la météo parfois capricieuse de nos contrées, tous se réjouissent déjà du soleil, des vacances bien méritées, des soirées décontractées sur les terrasses. Mais plus encore, pour ceux qui ont l'occasion de partir se dépayser en terres lointaines, la banane et la patate sont de mise. Les grandes vacances emballent les coeurs des petits et grands. Voyage culturel ou farniente, à priori tout semble indiquer que vous pourrez profiter sans encombre et en toute relaxation de votre congé, loin de vos collègues et de votre patron emmerdants à souhait, malgré votre conjoint-e et les gosses qui vont avec – on ne peut pas tout avoir. Déjà, votre sourire se dessine, la mer vous met l'eau à la bouche. Mais vous avez oublié une chose horrible, horrible avec deux «r» bien appuyés, aussi grinçants que ce qui vous attend: les touristes en puissance, les beaufs en escapade, les vacanciers lourdingues, ceux-là mêmes qui profitent de leurs vacances en pourrissant les vôtres. Petit aperçu du vacancier relou.

Par AP, le 03.06.2014 - Ed. 28

De l’aéroport

Or donc, vous voilà bien arrivé, l’excitation à son comble, vous débarquez à peine, le soleil par les hublots vous a déjà certes cramé la teint, mais c’est si bon d’être dans un pays où il y a du soleil. Il faut encore passer la douane et aller chercher les bagages, mais c’est comme si vous y étiez. Sauf que vous avez oublié Madame&Monsieur Chuipressé-Gevaumieuklerest. Eux ne vous oublient pas, ils vous ignorent volontairement. «Ah ben tiens, c’est les mêmes qui ont squatté la rangée de sièges prévue sur nos billets, et auxquels on a dû faire lire nos billets 36 fois avant qu’ils ne nous cèdent les places» vous dites-vous. 

Mais le spectacle n’est pas fini. Maintenant, ils vous détestent, parce que vous avez eu l’audace de vous asseoir aux places que vous avez achetées, et dès lors, aucune raison de ne pas faire profiter le monde entier de leur aigreur. Lorsque enfin arrivent vos satanés bagages sur le tapis roulant, pas moyen de se faire une petite place pour aller les chercher. Non. Les Madame&Monsieur Chuipressé-Gevaumieuklerest n’ont cure de s’écarter pour vous laisser le soin de prendre votre valise si légère et accommodante, c’est bien plus sympa de regarder les autres faire le tour en restant planter là, parce que leur valise c’est le gros lot, et c’est tellement mieux de s’attrouper comme des moutons autour d’un tapis roulant en tirant la gueule.

De la chère étrangère 

Vous êtes finalement parvenus à choper vos bagages, malgré la marée humaine grognonne de l’aéroport. Ouf, vous ne les reverrez plus… En fait non, ne comptez pas trop là-dessus. Le temps d’aller s’installer à l’hôtel, à l’appartement, ou de planter votre tente, qu’il faut penser à aller ingurgiter un casse-croûte conséquent, la fringale guette après le voyage et ses voyageurs pénibles. Et manque de bol, il s’avère que le restaurant est une fourmilière de touristes atteints de «chez nous c’est mieux» généralisé. Les habitudes culinaires et gastronomiques d’un pays sont toujours l’occasion pour les touristes aux taux d’ouverture proche de 0 de briller par leur comportement et leurs remarques sur la culture locale, remarques qu’ils ne manquent d’ailleurs jamais de faire à haute voix, puisqu’ils ne sont pas dans leur pays et que, pensent-ils, personne ne les comprend. C’est évident. Qui parle plusieurs langues? Pas vous, c’est certain.

A partir d’ici, il existe toute une fourchette de comportements notoires différents. Il y a d’abord ceux qui prennent les employés du restaurant ou de l’auberge pour des crétins complets, s’extasiant sur le fait qu’ils ne parlent pas leur langue, qu’ils ne comprennent rien, et, cerise sur le gâteau, qu’il puisse y avoir des erreurs dans la commande. C’est clair qu’à coups de gestes agacés à la limite de l’impolitesse, la commande va être beaucoup plus claire. Y doit y avoir erreur sur l’abruti. 

Ensuite, il y a le comportement «nouveau riche», style bourgeois blasé, mais sans la classe à l’ancienne. Pour les champions de la catégorie, l’étape s’échelonne en cinq manches: choisir un maximum de plats, tous les goûter un peu, dire «beurk» (ou alors faire une tête «beurk»), fumer une clope (ou un cigare) et l’écraser dans un des plats. D’une pierre deux coups: c’est se moquer du personnel et de l’argent. Quand on aime pas, on ne compte pas.

Il existe également la catégorie hilarante et alarmante des critiques culinaires du dimanche, ceux qui, une fois la frontière passée, deviennent tout à coup des fins gourmets, prêts à juger, noter, comparer, mesurer, évaluer, statuer et condamner (pas forcément dans cet ordre), sur une échelle dite du «chez-moi», les mets locaux qu’ils ont décidé de manger. Ceux-là se déplacent généralement en troupeau de plus de quatre personnes; faut bien que le public soit assez large, d’une part pour entendre que «le riz n’est pas assez imprégné de safran», et pour se conforter dans ses propres certitudes via l’acquiescement des compagnons. Bref, toujours trois étoiles assurées au Nigault&Millau.

 Enfin, la catégorie la plus obtuse, et par là même la plus drôle, celle des «j’emmène mon chez moi à l’étranger». Pardonnez-nous, on n’a pas trouvé mieux pour définir le concept. Pour faire court, il s’agit souvent de familles, qui voyagent en voiture sur de – très – longues distances, et qui prennent avec eux leurs habitudes et leur propre culture sur sol étranger, peut-être pour mieux l’exacerber, y compris celles relatives au manger. Plutôt  propres aux pays nordiques, ces traditions permettent des scènes rocambolesques. Imaginez plutôt: des wienerli en conserve par centaines, dans un coffre réfrigéré, quelque part en terres toscanes ou andalouses. C’est à faire comme chez soi, mais à 1600 bornes de là. Il est pas beau le voyage? 

De la plage

Ah la plage, l’hymne relaxant des vagues s’étirant, lasses, sur le sable. L’arôme du soleil mêlé au glissement des brises éphémères sur votre peau. Cette impression d’éternité qui s’en dégage… Jusqu’à l’arrivée DU, voire DES touristes. Déchirée l’image romantique, terminé votre doux repos, aux oubliettes votre mots-croisés en si bonne voie. A côté vient de s’installer le diable des plages. Plus moyen de mater discrètement (ou jalousement) les seins-nus généreux de votre désormais ex-voisine de natte ou de reluquer avidement (ou jalousement) la jolie plaque de l’athlète de derrière; les nouveaux arrivants annoncent une journée cramée en-dehors de toute incidence météorologique.

La plage est l’endroit rêvé pour découvrir la palette variée que forme l’ensemble des vacanciers accablants. On ne saurait être exhaustif, mais il y a toujours les classiques. Vous aurez sans doute été témoin, dans votre vie de vacancier balnéaire, du couple de retraités dont l’expression faciale seule prédit que vous allez devoir vous tenir à carreau. Pas question ici de lever le petit doigt, sous peine d’être fusillé du regard, parce qu’à côté, c’est tout juste s’ils ont pas levé des barbelés pour délimiter leur terrain et foré dans le sable pour fixer leur chaise dépliable, dont ils ne sortiront pas de toute la journée. Si vous avez emmené les gamins avec vous, alors attendez-vous au pire; la moindre goutte d’eau ou grain de sable de travers et c’est le drame. Ça va être la fête aux rides sur leur tête pourtant si amicale. A l’exact opposé de ces intolérants qui pensent que les plages publiques sont un endroit où chacun devrait poser son cul et regarder les autres de manière incriminante, on retrouve la catégorie de ceux qui trouvent ça beaucoup plus drôle de ne faire attention à rien. Ceci inclut notamment marcher sur vos linges et nattes en mettant du sable partout quand vous êtes dans l’eau, hurler pour toute la plage que c’est une glace qu’il ou elle veut, les sportifs qui jouent au ballon dans les 3m carrés qui bordent votre emplacement et qui, faute de maitrise technique, vous réveille immanquablement de la douce léthargie dans laquelle vous étiez. Logique improbable: pratiquer une activité grands espaces sur une plage bondée. 

Pas mon pays, pas mon problème

On ne va pas s’acharner non plus, mais on pourrait en mentionner des milliers d’autres cas, plus ou moins graves: des photographes compulsifs relous, en passant par les grandes gueules compulsives relous, qui crachent sur tout mais qui ont fait le voyage jusque là quand même (du coup on se demande pourquoi), jusqu’aux cas des imbéciles en puissance qui pensent que c’est le bon plan pour balancer les animaux dont ils ne veulent plus… Toutes ces choses existent malheureusement, et nous y avons tous participé une fois ou l’autre; fort heureusement les cas qui cumulent ces traits de caractère sont rares, et sans entrer dans les clichés, on pourrait rendre des comptes à toutes les nationalités, le Gaulois, le Boche, le Ruskov, le Néérlandais, le Suisse, personne n’y échappe. L’important, semble-t-il, n’est pas de trancher. Il y a près de 500 ans, Montaigne proposait déjà certaines pistes dans son essai «De la vanité», qui nous semblent plus que jamais d’actualité: «Quand j’ai été ailleurs qu’en France, et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d’étrangers. J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs: il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères. […] Ils ne tiennent qu’aux hommes de leur sorte, […] regardant [les] gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié.» Le bonheur du voyage et du tourisme dans la diversité et dans l’ouverture à une culture différente, voilà ce que proposait Montaigne, et voilà, aussi, ce dont de nombreux touristes acerbes devraient s’inspirer avant de dépasser les frontières qu’ils chérissent tant. 


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