Aller-Retour
Un chien dans un verre d’eau

Pour cet aller-retour franc-montagnard, Le p’tit Ju a décidé de s’émanciper de toute assistance culinaire, non pas que la gastronomie de cette contrée soit effrayante, simplement nous visions un objectif bien précis exempt de cuistot: le refuge des Sommêtres. Toujours est-il que c’est chargé d’ 1,2 kg d'un mélange de fromages qui fleurait bon l’beurre, d’abricotine travestie en damassine et de quelques fioles de blanc que nous avons cheminé entre les sombres sapins, slalomant habilement (parfois) parmi les beuses.

Par GIN, le 02.11.2015 - Ed. 40

Point de départ/arrivée: Parking de la gare, Le Boéchet
Distance: 14.07 km
Dénivelé: 60 m
Temps: 4h05 environ
Calories dépensées: bien moins que celles ingurgitées
Itinéraire: Cabane des Sommêtres via le Cimetières des pestiférés, Le Noirmont
Difficulté: Facile

 

En cette lumineuse matinée d’octobre, les pendules fraîchement accordées à l’heure d’hiver, nous – six courageux lèves-tôt et notre fidèle gardienne de troupeau – avons mis le cap sur Le Boéchet, notre point de départ pédestre. En voiture via Les Ecorcheresses – Les Genevez – Les Breuleux, avons bifurqué au Peuchapatte et pris direction le Peu Claude, on s’est dit «Le Peu Ju, ça sonne bien!», sommes arrivés en vue de notre destination. Lourdement chargés de sacs cliquetants, nous avons traversé les rails des CJ et sommes partis vers l’ouest, suivant la route Le Boéchet. Au niveau de la première ferme, nous avons continué à travers pâturages jusqu’à notre première halte historico-lugubre.

Le cimetière des pestiférés

Il n’est pas si difficile à repérer, c’est un carré boisé bordé de pierres au coeur d’un pâturage, néanmoins il faut bien s’en approcher pour apercevoir la haute croix forgée indiquant la dernière demeures des victimes du fléau qui sévit au 17e siècle. Des villages entiers furent incendiés et pillés, conséquence d’une Guerre de Trente ans bien meurtrière. Le journal d’un habitant des Bois relate ainsi ces terribles événements: «La peste fût si échauffée en plusieurs endroits, notamment dans cette Montagne, qu’il y avait des maisons où il mourrait 18 personnes et des ménages où il n’en restait pas une seule. Et à peine trouva-t-on personne pour enterrer les corps morts, tant la contagion était dangereuse (…)» Autant dire que les cimetières se sont rapidement multipliés suite à ces malheurs, pourtant celui des Bois est le seul ayant résisté au temps. De nos jours, les murs du cimetière abritent une croix à la mémoire des disparus des épidémies ainsi que quelques tombes plus récentes. Après ce contemplatif repos passager, notre dernière heure n’ayant pas encore sonné, nous avons quitté ce lieu paisible et longé le cimetière en direction du nord-ouest, toujours à travers champs.

Après avoir franchi la route qui mène du Boéchet aux Prailats, nous avons sauvagement dévalé le talus humide plutôt que de suivre cette voie qui faisait une épingle à peine plus loin, avant de revenir contre nous à la hauteur de l’étang. Libre à vous de miser sur la sécurité et de poursuivre en suivant la route. Une fois arrivé dans le village, traversez ce dernier jusqu’à ce que vous arriviez devant l’atelier de cuir. Là, niché entre deux maisons, se faufile un chemin caillouteux qui remonte gentiment contre le nord-est. Suivez-le sur environ 1km. À cette période de l’année, vous aurez l’impression de traverser un tunnel ambré et lumineux, tout en provoquant un raffut du diable.

Au sortir des arbres, vous serez confrontés à un triple choix : poursuivre tout droit direction Le Noirmont, redescendre à droite sur Le Boéchet ou remonter un petit bout de chemin jusqu’à une ferme. Optez pour ce dernier, car c’est en l’empruntant que vous parviendrez à un petit coin ensoleillé idéal pour baptiser le premier demi de blanc. Avant de faire santé, il reste à peine un tout petit kilomètre à parcourir, en remontant sur la crête boisée qui se dresse derrière la ferme et en longeant le sentier jusqu’au croisement avec la route goudronné. Là dans le contour, une petite table au charme irrésistible, chauffée par le soleil, compromettra la vive allure de votre pas.

Bien une heure trente, une saucisse au sanglier et deux demis de blanc plus tard, il fallait péniblement reprendre notre cap. C’est qu’il commençait à faire faim et le refuge était encore loin. Depuis là, rien de plus simple: suivre le même chemin qui serpente doucement suivant les courbes du terrain, tantôt à travers bois, tantôt à travers champs. Ce charmant sentier éclairé par un soleil de biais conduit parallèlement à la route jusque sur les hauteurs sud du Noirmont. À certains endroits du chemin, on devine entre les arbres les abruptes roches de la crête des Sommêtres, ouvrez l’oeil. Une fois au centre du Noirmont, des panneaux indiquent le refuge et son parking, plus moyen de se perdre, il suffit de grimper le long de la rue des Sommêtres. C’est que l’estomac dans les talons, l’ascension devient difficile.

Arrivés en-haut, traversez en large le petit plateau jusqu’à l’entrée de la forêt où le sentier replonge dans les bois. À ce stade, vous aurez tout le loisir de contempler pour la première fois le refuge dont la structure se marie si bien avec la roche environnante. La piste forme une large épingle et revient en douceur sur la dernière ligne droite. Là, des escaliers semblants taillés par ou pour des géants ménent vers l’extrémité toujours plus étroite de l’arête débouchant sur un panorama étourdissant! En contrebas, le sinueux Doubs lance des reflets miroitants, délimitant par son lit les Franches-Montagnes. Sur la droite, on aperçoit Muriaux, plus bas au bord de l’eau, Goumois. On dit que par beau temps, la vue se dégage parfois jusqu’aux Vosges et la Forêt Noire.

Le refuge des Sommêtres

Tout a commencé aux alentours de l’an 1300, en ce temps-là, les seigneurs de Muriaux édifièrent un château réputé imprenable de par sa situation très vertigineuse. Dans le pays, la forteresse du Spiegelberg était connue sous le nom de « Château des Sots Maîtres », nom donné, dit-on, en raison des douteuses pratiques de ses occupants. Malgré sa réputation, au cours des siècles, cet édifice est passé de mains en mains, au grès des guerres et occupations que connut la région, jusqu’à sa destruction en 1793 durant la révolution française. Il n’en reste rien, si ce n’est un amas de pierres et le spectre d’une entrée taillée dans la roche. L’actuel chalet des Sommêtres est inauguré le 27 août 1899 et a depuis été rénové plusieurs fois. Aujourd’hui c’est un endroit très prisé pour la varappe et la randonnée. Non gardé et ouvert toute l’année, le refuge comprend une dizaine de couchettes, des toilettes qui méritent le détour, une cuisine et un fourneau à bois, le tout créant un espace très convivial.

Une fois la fondue touillée, les différentes bouteilles honorées, nous n’avons plus traîné. Soyez sages, laissez l’endroit comme vous l’avez trouvé, la vaisselle faite et rangée, remballez vos déchets. Ce genre de lieu persiste grâce au respect de ses occupants et à un minimum de bon sens. Avant de rebrousser chemin, il serait malin de grimper jusqu’à la croix pour photographier mentalement ce puissant panorama. Puis, revenez sur vos pas jusqu’à la sortie de la forêt.

Et donc un chien?

Arrivés sur le petit plateau dominant le Noirmont, nous voilà pris la main dans le sac – ou le chien dans le verre d’eau – selon les dires d’un plausible sbire de Mad Max ascendant vacher. Nous le savons, vous le savez, les paysans réprouvent la baignade sauvage dans les abreuvoirs de leur bétail et c’est indiscutable. « T’as d’jà mis ton chien dans un verre d’eau ? Et pis t’as bu l’eau après? T’as trouvé ça bon? » Cette tirade a occupé nos esprits quelque peu grisés le restant du trajet jusqu’au coeur du Noirmont. Au vue de la fréquentation des Sommêtres un dimanche ensoleillé, les allées et venues des promeneurs ont en effet de quoi rendre nerveux.

Donc, en sortant de la forêt, votre chien en laisse, prenez tout droit en direction de la clinique. Ensuite, laissez vous porter par la route jusqu’à la gare. C’est peut-être là que nos chemins se séparent. Oui, car le soleil commençait à faiblir et nos mollets à gémir. Oui, nous avons pris les CJ.

Si un doux mais prompt retour auprès de votre carosse ne s’impose pas à vos membres, empruntez le passage sous-voie, vous rejoindrez par ce moyen la piste qui longe le champs du Gros. Prenez la première à droite, la seconde à gauche et Peu Péquignot se profilera à l’horizon. Puis dirigez-vous vers le petit bois qui cache Le Creux-des-Biches, si vous apercevez des tipis, c’est la bonne voie. Dernière étape: relier Le Boéchet, votre terminus. Le retour depuis Le Noirmont jouit d’un agréable dénivelé proche de zéro, comptez 45 minutes.

Les Sommêtres méritent à être découvertes si elles ne le sont déjà, la randonnée en soi est très accessible, quelques passages pentus sont à signaler aux alentours du refuge, rien d’inabordable cependant. La saison actuelle est des plus appropriée, le voile automnal accentuant terriblement l’enchantement que sont ces paysages. Si l’idée de balader votre pitance vous déplaît, sachez que la région regorge de bonnes adresses, renseignez-vous!

Bonne trotte, vous nous en direz des nouvelles!


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