Hommage
Terry Pratchett s’en est allé

Qui ne s’est jamais inventé son propre univers? Un monde dans lequel les interdits sont défendus, l’imagination source d’infinie et dont la liberté fait partie de l’ordinaire, un endroit dans lequel se retrancher pour fuir l’ennui, retrouver la saine solitude et faire grandir la vraie personne qui sommeille en soi. Terry Pratchett a voué sa vie à mettre sur papier un monde où l’absurde du notre devient une norme dans le sien, où la banalité est une aberrance et les acquis sont remis en question. Il est mort le 12 mars dernier de la maladie d’Alzheimer. De part cet article, le Petit Ju rend hommage à cet écrivain hors normes, aux valeurs bien trempées et dont l’œuvre immense vous est peut-être encore méconnue.

Par MWR, le 29.03.2015 - Ed. 35

Née le 28 avril 1948 en Angleterre, Terry s’intéresse très vite à l’astronomie avec le désir de devenir astronaute, un rêve qu’il met rapidement de côté, car l’importance des mathématiques le met hors course. Il décide de se tourner vers les mots et se passionne pour la science-fiction, l’écriture et la grammaire. Il commence sa carrière à 17 ans en devenant journaliste pour le Bucks Free Press. En 1968, lors d’une interview d’un directeur d’une petite maison d’édition, Terry lui propose son premier manuscrit, « Le Peuple Du Tapis ». Le livre sort en 1971 mais reste dans l’ombre.

Après deux autres essais, « La Face Obscure Du Soleil » et « Strates-à-Gemmes », c’est en 1983 que Pratchett sort « La Huitième Couleur », le premier opus d’une série qui compte plus de trente volumes et dont les récits se déroulent sur le Disque-Monde, une terre circulaire posée sur le dos de quatre éléphants eux-mêmes installés sur une tortue interstellaire, la grande A’Tuin. Bienvenu dans les annales du Disque-Monde, un univers atypique tout droit sorti de l’imagination tarabiscotée de l’auteur. Un succès qui représente 2.5 million de ventes par an, rien qu’en Angleterre.

De l’orang-outan à la mort en passant par la magie et les choux

Alors que la grande tortue se balade tranquillement dans le multivers, une multitude d’événements incroyables et rocambolesques se déroulent sur son dos. Il existe quatre grands axes dans ces aventures qui concernent quelques personnages et leurs histoires. Les voici:

Rincenvent est un mage raté qui se voit s’en arrêt impliqué dans de grandes catastrophes. Il a la faculté extraordinaire de les sentir venir suffisamment pour ne pas périr, mais pas assez pour les éviter.

La Mort est un personnage masculin et anthropomorphique, il ne comprend pas les hommes, cela le déprime et le questionne à un tel point qu’il en oublie de faire son travail, ce qui dérègle à chaque fois le bon déroulement des choses.

Mémé Ciredutemps est une pro de la teutôlogie, au tempérament dur comme du roc et à la tête de boque, Nounou Ogg, la dévergondée qui ne pense qu’à picoler et Magrat Goussedail, la petite dernière qui manque clairement d’assurance. Ce sont toutes trois des sorcières des Montagnes du Bélier qui veillent sur les hommes, les soignent, les conseillent et font surtout changer leur destin. On vous laisse imaginer ce que cela donne.

Le commissaire divisionnaire Vimaire et sa troupe du Guet qui comprend des nains, des loups-garous, des trolls ou encore des morts-vivants se chargent de la sécurité d’Ankh-Morpork, une ville entourée de culture de choux et de plus d’un million d’habitants dont la tendance est à vous trancher la tête plutôt que de vous dire gentiment bonjour? Le Guet est une police peu commode dont les aventures le sont encore moins.

A cela s’ajoute une multitude de personnages et de récits qui vont de l’invention des images-animées à un orang-outan, bibliothécaire de l’Université de l’Invisible pour l’étude de la magie en passant par l’arrivée de la musique Rock et Cohen le Barbare, vieux héros octogénaire, sauveur de vierges et pilleur de cités.

Et ce qu’il y a de génial, c’est que l’on peut lire cette série comme bon nous semble, il n’est pas nécessaire de suivre un ordre chronologique.

Lorsqu’il ne reste que quelques grains à son compte-vie

Malheureusement, en 2007, les médecins de Pratchett lui diagnostiquent une forme rare de la maladie d’Alzheimer. Il assure se sentir encore capable de rédiger quelques livres, mais très vite, il sent son cerveau le lâcher et doit recourir à d’autres intermédiaires pour écrire, comme l’aide d’une personne tiers ou encore l’outil informatique de reconnaissance vocale.

Dès lors, il s’intéresse à sa maladie et est très vite surpris du peu de moyens mis en place dans la recherche pour lutter contre elle. Ces moyens représentent 3% de ceux à disposition pour le cancer. C’est pourquoi, il fait un don d’un million de dollars et participe, en collaboration avec la BBC, à plusieurs documentaires sur le sujet.

Il s’inquiète aussi de la manière dont il va mourir. Pour lui, une personne atteinte d’une maladie neurodégénérative doit pouvoir choisir alors que son état se dégrade. Il entame une procédure pour une mort assistée auprès de l’organisme Suisse, Dignitas. Il s’engage aussi pour cette cause qui fait débat en Angleterre. Il n’y aura pas recours car la nature fera les choses d’elle-même. Son compte-vie, un sablier qui délimite l’existence des êtres dans ses romans, a versé son dernier grain de sable.

FINALEMENT, SIR TERRY, NOUS DEVONS MARCHER ENSEMBLE

C’est en majuscule qu’est représenté la parole de la Mort dans ses livres. C’est ainsi que sa mort a été annoncée publiquement le 12 mars 2015. C’est un grand auteur qui nous a quitté, quelqu’un qui savait observer et poussait le lecteur à remettre en question sa réalité. Il a su apporter un regard constructif sur une société en perte de repaires au travers d’histoires, a priori sans lien avec notre univers, mais qui ne sont au final, que le reflet de ce qui y dysfonctionne. Son humour typiquement anglais et ce culte de la critique de ce qui est fondé n’a fait qu’élever son écriture au rang du génial.


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