La Sorella Dionisia
Dans sa chanson « Ces gens-là », le grand Jacques nous parlait d’une «Denise, une fille de la ville, enfin, d’une autre ville!»
Cette Denise là, il faut aller la chercher bien plus au sud, en Italie pour être exact. C’est là que voit le jour Denise Alber en 1929. Elle est de parents suisses, des Genevois très exactement, mais son papa a dû partir s’installer dans «La Botte» pour des raisons professionnelles et il y a donc tout naturellement emmené sa petite famille.
Son enfance n’est pas particulièrement marquée par la religion. Sa famille n’est pas plus croyante ou pratiquante qu’une autre: rien n’indique encore le chemin que Denise va prendre des années plus tard. C’est un événement dramatique qui va précipiter les choses: alors qu’elle a huit ans, la jeune fille perd son papa, ce qui oblige sa mère à rentrer en Suisse avec elle et son frère Romain.
D’aventures en internat
La famille Alber s’installe alors à Estavayer-le-Lac, mais là encore le sort s’acharne et Madame Alber tombe gravement malade. Ne pouvant plus assurer l’éducation de sa fille, elle envoie Denise dans un internat tenu par des religieuses.
Une expérience marquante, pénible et douloureuse du fait de la vie stricte qui régnait dans ce genre d’établissement à cette époque, mais Denise y fera tout de même toute sa scolarité.
A sa sortie d’école c’est l’enseignement qui sera sa première vocation. Elle se forme donc à son futur métier et, hasard des choses, trouve du travail dans un internat tenu lui aussi par des religieuses: l’Institut du Sacré-Cœur à Estavayer-le-Lac. Elle y travaillera 2 ans en tant qu’institutrice laïque, en formant d’autres jeunes filles à devenir elles aussi enseignantes.
Mais quelqu’un d’important a de plus nobles desseins pour la jeune Denise.
LA rencontre!
Ne dit-on pas que les voies du Seigneur sont impénétrables? Denise Alber pourra en témoigner: après avoir passé la plus grande partie de sa vie dans des internats catholiques, elle estime avoir eu assez affaire à la religion. Et pourtant, comme beaucoup d’autres ecclésiastiques, Denise va se sentir appelée!
Un appel qui viendra du fond de son cœur. Tout d’abord effrayée à l’idée d’embrasser cette nouvelle vocation, Denise lutte contre ce cri du cœur mais c’est un combat perdu d’avance: elle deviendra religieuse et s’engagera au sein de l’Ordre Franciscain de Charité de la Sainte-Croix d’Ingenbohl, un ordre vieux de plus de 160 ans.
Il ne reste qu’à se trouver un nouveau nom car, à l’époque, une personne qui «entrait en religion» devait se nommer autrement afin de marquer sa renaissance en tant que nouvelle personne.
Le nom de religieuse que choisit Denise, c’est son frère Romain qui va lui inspirer, en hommage pour lui qui n’approuvait pas la nouvelle vocation de la jeune fille: Romain, qui deviendra Romaine au féminin.
Seul problème: la Mère Supérieure qui est en charge de valider les nouveaux noms des jeunes religieuses apprend à Denise qu’une «romaine», outre le fait d’être une habitante de Rome, c’est aussi une bassine qui servait à faire la lessive, et, dans certaines fermes, même à nourrir les porcs! Il fallait donc logiquement trouver autre chose.
La Mère Supérieure propose donc d’ajouter le prénom Françoise devant Romaine, pour la forme, mais aussi en hommage à Sainte Françoise de Rome connue aussi sous le nom de Sainte Françoise-Romaine (cf. photo), née en 1384 à Rome et qui, après avoir perdu son mari, a consacré sa vie à aider les pauvres et les déshérités.
Denise Alber n’est plus: bonjour à vous Sœur Françoise-Romaine.
Au commencement…
La nouvelle Sœur choisit un engagement dit «apostolique», c’est-à-dire tourné vers les autres et au service des plus démunis, par opposition à une vie «contemplative» qui implique de rester cloîtré dans un couvent.
Commence alors pour Sœur Françoise-Romaine son nouvel apostolat comme formatrice d’enseignante au sein même de l’internat qui l’avait elle-même formé: l’Institut du Sacré-Cœur d’Estavayer-le-Lac. Elle y travaillera durant les 27 premières années de sa vie religieuse.
Mais une fois encore, le Grand Patron à d’autres projets pour elle… Des projets en prévôté!
Moutier: Terre d’accueil
Après 27 années de bons et loyaux services à former plusieurs générations d’enseignantes en terre vaudoise, Sœur Françoise-Romaine se voit donc proposer l’opportunité de rejoindre l’équipe pastorale de Moutier, afin d’y donner le catéchisme et également de prendre part à la vie de la paroisse prévôtoise.
Un nouveau défi dans sa vie de religieuse, qu’elle acceptera et relèvera avec brio, en compagnie de sa «collègue» Sœur Marie-Germaine (cf. photo), marquant une fois de plus plusieurs générations de têtes blondes, prévôtoises cette fois-ci, fascinées par son infatigable bonne humeur, sa joie de vivre et sa passion d’enseigner.
Une vocation qu’elle remplit encore aujourd’hui avec bonheur tout en allant apporter soutien, écoute et conseille à ceux qui en ont le plus besoin à Moutier et dans sa périphérie, qu’ils soient catholiques ou de toutes autres confessions.
Stop ou encore?
Et l’avenir alors? Parlons-en!
A 84 ans, après 30 ans de vie prévôtoise et 60 ans de bons et loyaux services à l’Eglise Catholique, quelle est la suite du programme pour notre bonne Sœur Françoise-Romaine?
La retraite? Sûrement pas dans l’immédiat, bien que quand le moment sera venu, une maison de retraite spécialisée pour religieuses l’attend près de Fribourg pour lui assurer un repos bien mérité. Mais tant qu’elle aura des forces et qu’elle pourra remplir sa mission à bien, alors Sœur Françoise-Romaine restera fidèle au poste. Il faut dire que dans un monde en constante recherche de toujours plus de liberté et d’autonomie, les vocations de religieuses se font de plus en plus rares de nos jours. Et il faut bien que quelqu’un continue de s’occuper de ceux que la société a mis de côté.
Bien sûr la «profession» a pas mal changé; depuis 1956, les sœurs peuvent prendre des vacances, elles peuvent s’investir dans la vie politique de leur région, remplir leur devoir civique, et même participer à des événements culturels laïques comme par exemple pour le spectacle des vendanges du vigneron prévôtois Aurèle Morf où on s’en souvient, Sœur Françoise-Romaine avait fait preuve d’un véritable talent d’actrice en écrasant du raisin avec ses pieds!
Au final, et ce bien qu’elle continue encore à intriguer et fasciner à la fois, la religieuse s’est modernisée avec le temps pour s’inscrire plus profondément dans le quotidien des laïques et coller avec leur réalité.
C’est tout le paradoxe au final de cette «Drôle de profession-vocation»: faire preuve de modernité pour être au plus près des réalités de chacun, mais tout en restant un symbole, un phare dans la nuit qui représente une certaine pensée traditionnelle vieille de plus de 2000 ans.
Et ça, heureusement pour nous, Sœur Françoise-Romaine y arrive divinement bien. La preuve: à 84 ans elle possède même une adresse e-mail à son nom! A quand un compte sur Facebook!?
une des rares personne de ma ville natale que j’aime… Une Dame incroyable qui a su me rassurer dans les moments de doutes