Les métiers de l'ombre
Réalisateur TV

Certaines choses nous paraissent si simples, si familières, qu'elles semblent couler de source. Presque comme si elles étaient automatiques. Dans le secteur de la technologie notamment, lorsque les connaissances nous manquent, cela donne parfois l'impression que derrière se cache une clique de robots qui veillent au bon fonctionnement de votre matos. La téloche, comme média omniprésent (parfois envahissant) de notre société occidentale, entre dans cette catégorie. Et pourtant! Désolé d'en décevoir certains, mais il n'y pas de petits nains assidus et opiniâtres qui pédalent derrière votre tube cathodique ou votre écran plasma pour vous fournir l'image. Tous vos programmes préférés sont au contraire le résultat d'une organisation gigantesque, et ce que vous voyez à l'écran n'est que la partie visible, finie de l'iceberg. Les métiers de la télé sont nombreux et souvent inconnus du grand public. Le Petit Ju s'est rendu à Lausanne, à la patinoire de Malley, et s'est faufilé dans un car-régie aux côtés d'un réalisateur pour assister à la production d'un match de hockey sur glace en direct.

Par AP, le 01.12.2014 - Ed. 32

Réali-quoi?

Quand on arrive un peu avant 18h devant les immenses cars de la TV parqués derrière l’enceinte de Malley, l’excitation est à son comble. Le voyage en train s’est passé tranquillement, mais on va tantôt rentrer dans le vif du sujet. L’esprit reste un peu obnubilé par le mot « télé ». La télé, ce monde qu’on peuple volontiers de nos fantasmes les plus fous. Il est vrai qu’à côté de l’excitation, il y a aussi un peu d’appréhension: celle, on se dit alors, de tomber sur une caste un peu élitiste des gens qui font la télé. Mais les a priori vont vite s’effacer.

Devant le car, deux trois personnes sont déjà présentes, deux heures et quelques avant le début du match; l’ambiance est bon enfant et l’accueil amical. Parmi elles, Antoine*, le réalisateur, avec lequel était pris le rendez-vous. Nous sommes rejoints un peu plus tard par toute l’équipe en charge de la production du match, au total une quinzaine de personnes. Au sein de l’équipe de technique, c’est Antoine qui fait figure de patron, en tant que réalisateur justement. « Ça n’a rien à voir avec une hiérarchie, c’est simplement que dans ma fonction, je suis celui qui « coupe », qui décide des images qui passent à l’antenne au final, de ce que les téléspectateurs voient à l’écran. » Grosso modo, le réalisateur est donc la pièce centrale dans les émissions et matchs en direct: c’est par lui que passent toutes les images en régie, filmées par les quatre caméras placées dans la patinoire, et c’est aussi lui qui demande certains plans et donne des consignes précises aux caméramans. Il est le centre de tri, une sorte de magicien qui jongle avec les images pour faire du match un tout cohérent et esthétique.

Toute une équipe

A 18h a lieu une première séance, en comité restreint dans la salle de presse de la patinoire, à laquelle assistent le réalisateur, les commentateurs sportifs du jour, et le régisseur de production. Il s’agit d’un « relais », comme nous l’explique Antoine, entre l’équipe éditoriale – les commentateurs – et l’équipe technique, qu’il représente. Le but est principalement de savoir si les commentateurs ont besoin de quelque chose de spécifique en matière d’image, afin d’illustrer leurs propos, notamment au début du match. Par exemple, lors d’un match de hockey sur glace, il est fréquent que les journalistes demandent au réalisateur de proposer des images du joueur en forme du moment, suite à quoi le réalisateur demandera aux caméramans de se concentrer sur ce joueur en particulier lors de l’arrivée des équipes sur la glace. Le régisseur de production, quant à lui, malgré une dénomination plutôt compliquée, a un rôle simple mais primordial: il donne, par radio, les informations précises sur le déroulement du jeu (comme les buteurs, les pénalités, etc…) au réalisateur. Car il ne faut pas oublier que celui-ci, pendant le match, se trouve dans le car-régie à l’extérieur de la patinoire, et n’a pas accès à ces informations, si ce n’est que partiellement grâce aux images qu’il reçoit.

Après ce premier point sur l’organisation, retour au car-régie. A 18h30, toute l’équipe technique se rassemble pour une deuxième séance. L’équipe technique, c’est toute une variété de métiers bien précis. Il y a d’abord évidemment les caméramans, au nombre de 4, qui sont placés à différents endroit de la patinoire. Il y a aussi les techniciens du son, qui règlent toutes les questions liées à l’audio, notamment les liaisons entre les techniciens présents dans la patinoire et ceux dans le car. Et puis il reste tous ceux qui travaillent dans la régie dite « images », aux côtés du réalisateur: deux opérateurs « slow » (responsables des différents ralentis, dont le job est de les garder et de les lancer lorsque le réalisateur le demande), un opérateur vidéo (qui corrige en temps réel le rendu image produit par les caméras, comme régler les balances blanc/noir) et enfin, un opérateur synthétiseur (qui gère les incrustations graphiques, comme le chronomètre et le score, le nom des buteurs, etc…). A 18h45, tout le monde est fixé. Le match commence à 19h45, mais pour le réalisateur et les autres, le vrai boulot commence maintenant.

Réglés comme une montre suisse

Cette fois-ci, tout le monde est en place. On s’installe dans un coin, juste derrière la régie image qui nous semble tout droit sortie d’un film de SF. On hallucine encore de voir autant de matos TV embarqué dans un car comme celui-là. Des écrans à la pelle, des boutons et des joysticks en veux-tu en voilà. Antoine s’installe et commence à pianoter sur la multitude de boutons (doux euphémisme) qui s’étendent devant lui le plus naturellement du monde. A sa gauche, l’opérateur synthétiseur et l’opérateur vidéo, juste derrière, les opérateurs slow, et dans l’oreillette, tout le reste de l’équipe technique ainsi que les commentateurs.

18h50. Tout commence à s’enchaîner très vite, mais pas de signe de stress apparent. Antoine se retourne avec un sourire: « Bah, on en fait tellement de ces matchs, on prend l’habitude. Et c’est notre métier quand même, ou une partie de notre métier. Je pense pas qu’on demande à un boucher s’il a peur de se couper en bouchoyant, on estime qu’il est normal que non dans le métier. C’est pareil pour nous, même si le direct peut donner lieu à des moments un peu tendus des fois. » Le direct, c’est dans 45 minutes. Pour l’instant, après les tests des liaisons audios réalisés avec succès, il faut passer aux interviews d’avant-match. Les joueurs entrent progressivement sur la glace pour l’échauffement; c’est le régisseur qui les attire sur le côté pour l’interview. On règle la lumière, l’image, le son, et une fois que le réalisateur a tous les feux au vert, le journaliste lance l’interview. 

Après quelques interviews, le rôle d’Antoine devient plus concret. Il est 19h20, les équipe s’échauffent. Le réalisateur en profite pour monter, avec l’aide des deux opérateurs slow, des images qui pourront être envoyées aux studios TV à Genève, Zurich ou Fribourg si nécessaire, ou réutilisées plus tard pendant le match pour combler un arrêt de jeu qui se prolongerait un peu; quelques gros plans sur des joueurs particuliers, les gardiens, ou les entraîneurs. 

Chef d’orchestre

Nous y voici enfin. 19h40. L’heure fatidique, le début du direct. Le rôle central du réalisateur se fait sentir d’entrée de jeu. En contact permanent avec ses caméramans, il a un oeil sur les quatre moniteurs reliés aux quatre caméras, et choisit avec parcimonie  quelle image il décide de faire passer à l’antenne, annonçant à chaque fois au caméraman concerné qu’il est en ligne, pour ne pas qu’il cadre autre chose alors qu’il est en direct. Cela se fait le plus naturellement du monde: « Et la 1… top 1. […] La 3…. Top 3. » Lorsque commence le match, on est éblouis de voir avec quelle fluidité et minutie toute la production se déroule. Alors que tout paraît simple lorsqu’on regarde le match à la maison, on se rend compte en régie que le nombre d’informations que le réalisateur doit gérer en même temps est assez incroyable. Si vous avez la sensation que tout s’enchaîne de la façon la plus triviale possible sur votre écran, c’est que toute l’équipe en régie image est parfaitement accordée par le chef d’orchestre Antoine. Chaque arrêt de jeu est rempli par un ralenti préparé dans des délais très courts, chaque surimpression est créée et lancée dans un temps record. Pourtant, cette immédiateté du direct ne crée aucune surchauffe. Il arrive une fois ou l’autre qu’Antoine monte un peu le ton, « lorsque, nous dit-il, quelque chose n’est pas fluide ou ne s’articule pas bien », notamment lors des ralentis – de notre côté, « l’erreur » commise n’a même été remarquée. Mais rien à voir avec de la nervosité: juste l’ambition de faire un sans-faute: « Quand on bosse dans ce domaine et comme dans n’importe quel autre, on est forcément très attentifs, on veut que tout soit fait au mieux. Ce qui est une erreur ou une maladresse pour nous ne l’est pas forcément pour le téléspectateur chez lui, car souvent il ne la remarquera même pas. Mais c’est en réglant les petits détails au mieux, qu’on donne à une émission ou toute autre production une qualité supplémentaire. »

A la fin du match, on redescend d’un niveau lorsque la production arrive à son terme. Les techniciens en régie me regardent d’un air amusé. Pour eux et Antoine, ce n’était qu’un autre match sur les dizaines qu’ils font chaque année. Et pour le réalisateur, ce n’est qu’une partie d’un métier diversifié. « Dans notre parcours, on touche un peu à tout. Des fois c’est des matchs de hockey comme aujourd’hui, des fois d’autres sports, et sinon, des émissions au studio à Genève, en direct ou enregistrées. Chaque production a ses caractéristique, c’est aussi ça qui fait la richesse et la diversité du métier. Le hockey, ça va vite, faut être très attentif aux faits de jeu, on travaille dans des carcans assez serrés. » Lorsqu’on lui dit qu’au final, il est un peu comme un chef d’orchestre, il pique un fou-rire: « J’aimerais avoir autant de talent! ».

« C’est que de la télé », achèvera-t-il. Eh bien pour nous, au contraire, la magie de la télé a opéré; on en ressort presque émerveillé.

 

*nom d’emprunt


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