«Tu es poussière et tu retourneras dans la poussière!» Voilà en gros ce que la Genèse nous apprend sur nos origines et sur notre destination finale. Mais ce que les saintes écritures ne précisent pas, c’est ce qui se passe entre les deux phases «poussiéreuses», du dernier souffle jusqu’à l’urne. Pour le savoir, le Petit Jurassien s’est tourné vers une spécialiste de la mort: Valentine Gerber.
Un rendez-vous avec la mort
Mercredi 22 octobre à 14 h 00 au cimetière de Madretsch à Bienne: non ce n’est pas le jour, l’heure et l’endroit de mon décès, mais le rendez-vous pris avec Valentine Gerber, jeune entrepreneuse de pompes funèbres de 24 ans, à son compte avec son père depuis 2008.
A notre arrivée, on ne sait pas trop à qui s’attendre, mais c’est une charmante jeune fille, souriante et pétillante, bien que toute de noir vêtue, qui nous accueille. Nous sommes tout d’abord surpris par son naturel et sa facilité à aborder un sujet aussi tabou que la mort. Nous qui pensions rencontrer une personne froide, réservée et taciturne, sommes presque décontenancés par tant de joie de vivre et d’énergie.
Mais cette vitalité nous met finalement assez vite très à l’aise et l’on comprend alors que l’on a affaire à une personne véritablement douée, très professionnelle et clairement faites pour ce métier si particulier.
Une visite «mortelle»
Après quelques politesses, on entre dans le vif du sujet avec la demoiselle: le tour du propriétaire… Tout en bavardant, on traverse le cimetière de Madretsch pour se rendre directement à la chapelle ainsi qu’au centre d’incinération.
En entrant, dans le bâtiment, nous sommes un peu mal à l’aise, ne sachant trop où regarder, de peur de croiser le regard d’un disparu ou de poser les yeux sur quelque chose qu’on n’aurait pas aimé voir.
Mais une fois encore, Valentine, nous guide, nous rassure et nous abreuve d’informations passionnantes, si bien qu’on en oublierait presque où on est. Mais la rencontre inopinée avec un employé de la morgue au détour d’un couloir, poussant un chariot sur lequel repose une housse mortuaire bel et bien remplie, a aussitôt fait de nous raviver la mémoire!
La visite se poursuit de salle en salle, des pièces de recueillement au stock de cercueils en passant par la table de toilette mortuaire, pour se terminer là où tout se termine: les fours crématoires.
Une fois arrivé dans cette partie là de l’établissement, l’ambiance est tout autre: il fait beaucoup plus chaud! Une constatation qui peut sembler logique, mais on se demande alors s’il n’y aurait pas un cercueil en train d’être incinéré juste à côté…
Mais en fait non, c’est juste que les fours sont toujours allumés, jours et nuits, puisqu’ils doivent atteindre une température de 700 degrés pour pouvoir fonctionner de manière optimum. Et comme il faut compter une semaine pour atteindre cette température, ce serait donc une perte de temps de devoir les éteindre et les rallumer à chaque fois.
C’est ce que nous explique Bruno, le responsable du département crémation, qui prend le relais pour cette partie là de la visite guidée. Une visite sur deux étages: en haut la partie où l’on introduit le cercueil dans un long tunnel en flammes pour l’incinérer. Et en bas, là où on récolte les cendres, restes d’ossements et ferrailles en tout genre (prothèses, plaques chirurgicales, clous de cercueil,…). Tout ce qui n’est pas «humain» est mis de côté, puis le reste est passé dans un moulin qui va tout broyer et donner de fines cendres grises qui finiront dans l’urne funéraire.
La boucle est donc bouclée, nous voilà redevenu poussière!
La mort dans l’Âme
Mais comment devient-on «croque-mort» ? Est-ce qu’on se réveille un beau matin avec une envie irrépressible de travailler main dans la main avec la grande faucheuse ?
Pour Valentine, comme pour bien d’autres, de son propre aveu, c’est avant tout une histoire de famille. On ne tombe pas dans la grande marmite de la mort par hasard. On y baigne depuis son plus jeune âge.
Dans son cas, elle a commencé par accompagner son père pendant ses vacances scolaires à l’âge de 13 ans. Quand ses copains-copines allaient gagner de quoi payer leurs vacances en bossant une semaine à l’usine, Valentine, elle, travaillait au cimetière et allait chercher des personnes décédées dans les homes ou les hôpitaux. C’est là qu’elle a développé sa «passion» pour ce métier hors-norme.
Après une première formation d’employée de commerce, la jeune fille se lance donc dans les pompes funèbres et apprend le métier sur le tas avec son père au sein de l’entreprise familiale Richner SA à Bienne.
Après avoir passé six années à apprivoiser toutes les facettes de cette profession, Valentine, s’apprête maintenant à passer à l’étape supérieure en commençant, dès l’année prochaine, les deux années de formation requises pour obtenir le brevet fédéral d’entrepreneuse de pompes funèbres.
La mort dans la peau
On ressort de cette visite avec le sentiment de n’être finalement pas grand-chose, surtout après avoir pris conscience que le cimetière de Madretsch s’occupe des crémations pour tout le Jura-Bernois., et que donc un jour, il se peut bien qu’on revienne entre ses murs, mais cette fois-ci entre quatre planches.
Mais cette après-midi passée aux côtés de Valentine nous fait surtout prendre conscience de l’immense étendue des facettes que comporte ce métier si méconnu.
Être employée des pompes funèbres, ce n’est pas juste préparer un cercueil et mettre un habit de cérémonie noir en adoptant une mine de circonstance, comme nous le fait remarquer notre «croqueuse de morts».
C’est aussi aller chercher des corps sur les lieux d’un décès, que ce soit dans un home, un hôpital, au bord de la route ou dans un appartement. C’est les transporter, c’est s’occuper d’eux en les lavant, en les maquillant, en les habillant voir même en les recousant quelques fois, bref, c’est les rendre présentables pour la famille. C’est également s’occuper de toute la paperasse, annoncer le décès à l’état civil, gérer les faire-parts, être présent pour la famille, être à l’écoute, l’accompagner, lui proposer un texte, un cercueil, des fleurs, une pierre tombale, tout en étant disponible 24h sur 24, avoir de l’empathie, mais savoir garder de la distance tout en cachant ses sentiments et être psychologue.
Pour tout ce que ce métier demande et exige comme savoir-faire et comme professionnalisme dans des moments difficiles de deuil et de chagrin, c’est sûr et certain, on peut vraiment parler de passion et c’est impératif d’avoir «la mort dans la peau».
Paradoxalement, ce qu’on aura appris tout au long de cette journée passée aux côtés des morts et de ceux qui la côtoient quotidiennement, c’est que le métier de croque-mort demande énormément de qualités dans le relationnel avec les vivants.
Au final c’est une profession qui est autant tournée vers la mort que vers la vie, ce qui nous fait voir les choses sous un nouvel angle et nous fait également mieux comprendre l’enthousiasme et la passion que Valentine met et continuera de mettre dans son travail.