La rédaction du Petit Ju’ vous dresse ici le portrait d’une certaine Lara, archéologue bourlingueuse et aventurière à qui aucun défi ne fait peur et aux yeux de laquelle le vaste Monde repésente un terrain d’investigations sans frontières. Partant de ces qualités et du prénom qui résonne comme le signe d’une prédestination, la comparaison avec l’héroïne du jeu Tomb Raider aurait pu être presque complète si notre charmante invitée avait été issue d’une célèbre famille d’électriciens prévôtois. Mais en lieu d’une hypothétique Lara Kropf, nous nous proposons de vous présenter la véritable et sismique Lara Tremblay qui, malgré son patronyme, ne frémit devant aucune difficulté, à l’instar de ce que son remuant parcours illustre. Miss Tremblay secoue son premier hochet il y a un peu plus d’une trentaine d’années à Saguenay en la riche terre de Québec, à un peu moins de 400 km au nord-est de Montréal. Sa maturité en poche et à tel point passionnée par l’archéologie qu’elle aurait pu se rebaptiser Lydie-Anna Jaune, elle prend naturellement son élan pour s’investir cœur et âme dans un consi(rop)dérable périple qui la mènera, quelques années plus tard, à chapeauter les fouilles archéologiques dans les caves de l’Hôtel du Cerf à Moutier. L’accent de Québec sur la bouche, Lara nous raconte sa rencontre avec le Vieux-Continent, la Suisse et enfin la Prévôté dont elle nous décrit les nouvelles observations émises sur le fameux monastère de Moutier-Grandval, dont la présence sous la Rue Centrale est désormais attestée depuis 2008.
Stéphane: Lara, tu as traversé l’Atlantique, consécutivement à tes études en archéologie à Québec pour te retrouver à Tours dans la Loire sur tes premières fouilles. Etonnement, c’est à cet endroit que tu as entendu pour la première fois parlé de Moutier…
Lara: Oui, il faut rappeler que la célèbre Bible de Moutier-Grandval fut réalisée à Tours par le scriptorium de Saint Martin et offerte à l’abbaye prévôtoise vers 835 par Liutfried de Tours qui n’était autre que l’abbé laïc de cette institution et comte d’Alsace à cette période. Sans même oser deviner un jour mettre les pieds en Prévôté j’avais déjà, à l’époque, entendu parler de son patrimoine.
Stéphane: Quelle coïncidence puisque quelques années plus tard tu te retrouves dans le sous-sol de l’Hôtel du Cerf à mettre au jour une partie du fameux monastère auquel était destiné ce précieux Codex.
Lara: Effectivement, suite à cette première expérience professionnelle en France, je me suis acheminée à Chypre où j’ai rencontré mon futur mari helvète et également archéologue. Ensuite, nous sommes partis pour la Suisse où j’ai notamment travaillé pour les services archéologiques saint-gallois et argoviens avant d’être engagée par le canton de Berne et de me retrouver sur les projets liés à la Transjuranne et à l’abbaye prévôtoise.
Stéphane: Alors sous les pavés une plage d’informations archéologiques?
Lara: Oui la présence du fameux monastère datant du 7ème siècle et qui a donné son nom à la ville (moutier signifie en effet «monastère» est attestée depuis 2008 sous l’actuelle rue Centrale. Des vestiges de fondations ainsi que des sols de mortier de chaux rehaussés de tuileaux pilés afin de leur conférer une teinte rougeâtre furent mis au jour en cet endroit. Cependant, la totalité de l’édifice n’a logiquement pas pu être découverte, dans la mesure où il s’étendait sous les actuelles demeures du centre-ville.
Stéphane: Il s’agit donc de tenter la reconstitution de cet établissement par fenêtres éparses, au gré des réfections et des modifications contemporaines apportées à cette zone?
Lara: Et là réside tout le challenge et la particularité de ce site qu’il faut appréhender comme un puzzle. Les fouilles de 2008/2009 ont révélé une part de l’abbaye, celles de 2012 une autre mais sa plus grande partie reste encore enfouie sous le bourg actuel. Les opportunités d’investigation potentiellesà venir donneront peut-être d’autres indices sur cet exceptionnel établissement du Haut Moyen Age.
Stéphane: Et les prospections dans les sous-sols de l’Hôtel du Cerf furent, à ce titre, très intéressantes?
Lara: Au plus haut point, ces dernières ont permis de mettre au jour une partie du mur extérieur méridional de l’abbaye, indiquant une délimitation qui, même incomplète, permet d’esquisser un côté du pourtour de l’établissement. Des datations effectuées au Carbone 14 sur des échantillons de charbon découverts dans les couches correspondantes en cet endroit, révélèrent cependant que cette aile ne correspond pas à une phase initiale du monastère du 7ème siècle. Ils démontrent que ce dernier connut une extension au 8 ou 9ème siècle qui démontre que l’activité de l’institution devait être importante à cette époque (NDLR: pas d’autel sous l’hôtel et encore moins de tabernacle, Tabernac’!).
Stéphane: Activité et prestige que reflètent non seulement les sols de mortier de chaux observés lors des fouilles en 2008/2009 mais également dans un petit fragment de marbre mis au jour dans les niveaux d’abandon de l’abbaye.
Lara: Tout à fait, les sols «en terrazzo» mis au jour correspondent à des parterres usités à l’époque pour des établissements de haut prestige, tels que les palais ou les riches église et abbayes. Nous avons eu l’opportunité de découvrir également ce fameux petit morceau de marbre qui, pour cette période, révèle une grande richesse de l’institution. Si on ajoute à cela la non moins riche facture de la Bible de Moutier-Grandval ou encore la rareté des bâtiments «en dur» pour le Haut Moyen Age, il apparaît clairement que tous ces éléments vont dans le sens d’une abbaye ayant rayonné loin à la ronde et bénéficiant de moyens considérables.
Stéphane: Puis, au détour des 11 et 12ème siècles disparition totale du monastère…
Lara: Le monastère n’a pas été détruit par un incendie ni par une main belliqueuse. La stratigraphie démontre clairement qu’il a été démonté pierre par pierre avec un très grand soin. Des couches de mortier attestent que ses éléments ont même été nettoyés de ce liant et nous pouvons imaginer que ce fut ainsi réalisé dans le but de les réutiliser pour l’élaboration du chapitre de chanoines qui s’érigeait sur la terrasse de l’actuelle collégiale dédiée à Sainte Marie et à Saint Germain.
Stéphane: Cette rue Centrale regorge donc de vestiges.
Lara: Assurément et pas seulement pour l’époque monastique. Par exemple une partie de cette zone accueillait, suite à l’arasement du monastère et jusqu’au milieu du 12ème siècle, le cimetière paroissial de l’église Saint-Pierre. Nous avons d’ailleurs mis au jour quelques-unes de ces sépultures … (NDLR: aaaah la mise ne bière en vieille ville, une vraie tradition Prévôtoise.)
Stéphane: A quand la prochaine intervention archéologique au sein de cette zone?
Lara: Pour l’instant rien n’est prévu et nos prospections dépendent étroitement de travaux tels que des réfections de canalisations ou encore des aménagements touchant des couches archéologiques attestées. Mais il est certain que la Rue Centrale est d’un intérêt prioritaire pour l’archéologie régionale.
Le présent sujet fait l’objet d’une publication rédigée par l’auteur de cette entrevue: «La localisation du monastère alto-médiéval de Moutier-Grandval», 2009.