Les métiers de l'ombre
A la recherche de la vérité

Il y a quelques temps, le P’tit Ju s’était penché sur les abattoirs de la boucherie Nyffeler. Du sang et de la saucisse. Un peu plus tard, c’est du côté de Bienne que nous nous sommes rendus afin de rencontrer une charmante croque-mort qui avait la mort dans la peau. Dans un souci de ne pas rompre une tradition morbido-gothico-nécrophore, le P’tit Ju a cherché l’intermédiaire entre le boucher et l’aurevoir. On s’est donc rendu à la ville, à Lausanne au centre universitaire de médecine légale (CURML) afin d’en apprendre un peu plus sur ce métier qui nourrit tes fantasmes morbides: le médecin-légiste.

Par SM, le 30.03.2015 - Ed. 35

«Nous sommes des médecins qui ne prescrivons pas, nous travaillons pour savoir ce qui s’est passé tandis que le médecin traitant, lui, travaille pour l’avenir.» C’est par ces mots que Patrice Mangin, médecin légiste et directeur du CURML, décrit son métier. La médecine légale n’est pas à des années lumières de la médecine classique, même si le contact avec le patient est évidemment plus délicat et qu’il ne prescrit pas de remèdes miracles. Le principal objectif du médecin légiste est de poser un diagnostique. A la recherche de la vérité. Le médecin légiste travaille dans le passé, il cherche à comprendre en auscultant le corps de son patient afin d’élucider les raisons de sa mort.

Comme son nom l’indique, le médecin légiste est à la frontière de la médecine et de la loi. La profession est née au moyen-âge, sous l’impulsion d’une opinion publique de plus en plus avide de vérité et de preuves. Ainsi, le médecin légiste fait office de pont entre la mort et la loi, entre le peuple soucieux d’une justice équitable et des institutions chargées de faire respecter les lois. De ce fait, le médecin légiste intervient principalement lors d’enquêtes pénales ou civiles, à la demande des autorités judiciaires ou locales. En cas d’homicide ou de mort suspecte, le médecin légiste va se rendre sur les lieux du crime (ou pas) et va procéder à un premier examen. Comme à la télé. Ensuite, le corps est transféré au CUMRL, à Lausanne. Donc oui cher lecteur, si il t’arrive une fois un petit soucis dans le fin fond du Jura, tu risques de bien de te retrouver dans la morgue du chemin de la Vulliette 4, Lausanne. Une fois rapatriée en terre vaudoise, la dépouille va subir un examen complet. Scanner, autopsie, le médecin légiste va déterminer l’heure de la mort et déterminera si elle est naturelle ou violente. Le cas échéant, il s’agira de déterminer si c’est un suicide ou un homicide. Tout cela est inscrit dans un rapport qui est transmis aux autorités référantes afin de coincer le méchant. Comme a la télé.

Au cours des dix dernières années, le métier a cependant passablement évolué. Les nouvelles technologies modernes ont permis d’amener le métier à un niveau supérieur. Une des principales révolutions est venue dans les domaines touchants à l’acide désoxyribonucléique. ADN pour les intimes. Un peu de salive sur un mégot, une oreille collée sur une porte suffisent pour identifier quelqu’un. A l’époque, une tâche de sang de 10 centimètres était à peine suffisante. Cependant, le métier n’est pas devenu plus facile. Au contraire. Les exigences demandées aux médecins légistes ont augmenté de manière proportionnelle aux progrès technologiques.

Le fait d’être confronté à la mort régulièrement n’est cependant pas anodin assure Patrice Mangin, fort de sa trentaine d’années d’expérience. Après avoir obtenu le diplôme de médecin, 5 ans de formation supplémentaire sont nécessaires afin de se spécialiser dans la médecine légale. Cette spécialisation n’est pas à la portée de tous. «Je fais un tri très sélectif» appuie Patrice Mangin, avant de continuer: «Beaucoup ne se rendent pas compte de ce que c’est de côtoyer ainsi la mort, il faut avoir les épaules solides, la tête bien faite, le métier est dur physiquement et moralement, tout le monde n’est pas fait pour être médecin légiste». Ce tri sélectif est des plus rudimentaires mais des plus efficaces: le candidat passe quelques jours dans le centre et assiste une équipe tandis que Patrice Mangin observe ses réactions et son comportement face à la mort. 

Depuis quelques temps, ce métier de l’ombre est peu à peu apparu au grand public à travers les séries télévisées. Que ce soit NCIS ou Les Experts à MiamiNewyorkLasVegas, ces séries télés ont amené la médecine légale au grand public. Cela a amené des vocations, et le nombre d’intéressés a passablement augmenté ces dernières années. Evidemment, une telle publicité amène également son lot de clichés. Même si il n’y a pas vraiment d’incohérences, tout est rapide, facile, sans anicroches. Les séries ont cependant permis au métier de se démocratiser et de se féminiser. «De plus, un certain attrait du public envers la professions s’explique par le mystère de la mort, par les questions que l’on se pose sur ce qu’il y après» explique le praticien. Le fait que le médecin légiste soit le médecin de la crise et des blessures explique également cet engouement poursuit-il.

Si les fictions télévisuelles ont amené cette discipline médicale sur le devant de la scène, la mort en tant que tel intrigue également le public. Que ce soit dans le Quotidien Jurassien ou au 19h30 de Darius, la mort est omniprésente dans les médias et la vie de tous les jours comme en témoigne l’accident aéronautique du 24 mars 2015. Nous essayons de la comprendre, de l’analyser. Si consommer la mort à travers un écran est une chose, en faire son métier de tous les jours en est une autre. Pourquoi devient-on médecin légiste? «La médecine légale est une manière de penser et de faire la médecine, on devient médecin-légiste pour sa manière de travailler, la manière de penser différente de la manière du clinicien, c’est également une activité pluridisciplinaire en plus de l’enquête policière». Le médecin légiste qui travaille tout seul, au fond d’un couloir au sous-sol sous la lumière froide des néons c’est fini. Le médecin légiste d’aujourd’hui ressemble aux autres médecins et n’est pas un fanatique de la mort. 

Même si le premier contact avec un cadavre marque, après trente ans de métier, on ne s’habitue pas à la mort assure Patrice Mangin. Probablement qu’un filtre entre le médecin et la mort s’installe. «Il est nécessaire de faire la part de chose, cela deviendrait vite invivable sinon, le plus difficile n’est peut-être pas de côtoyer la mort et le cadavre en tant que tel, mais plutôt de faire face à toute la misère du monde et des drames liés à une mort». Néanmoins, le médecin légiste se doit de rester neutre, même face à une mort difficile. En tant qu’arbitre au service de la loi, le praticien se doit de rester impartial. «Il n’y a pas à porter un jugement de valeur sur tel cas, il faut rester neutre, même si cela n’empêche pas d’avoir sa propre idée, on la garde simplement pour soi».

Si le médecin légiste est souvent associé à la mort, le métier est avant tout pluridisciplinaire. Le médecin légiste ne va pas se spécialiser en autopsie ou en toxicologie. Il se doit d’être polyvalent. De plus, contrairement aux idées reçues il est également en contact avec des patients vivants. Le CURML comporte une unité de médecine des violences. Le médecin va alors intervenir à la demande d’une victime. Le médecin-légiste va tout d’abord offrir une écoute attentive afin que la victime puisse raconter les violences subies. Dans un deuxième temps, un constat de coups et de blessures accompagné de photographies des lésions est effectué afin que la victime puisse, si elle le désire, faire valoir ses droits. Bien loin du fantasme de l’homme qui dompte la mort, le médecin légiste est avant tout à la recherche de la vérité.

 Crash 002
Illustration @Vay


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