Pourquoi le Japon?
L’érotisme est à la mode au cinéma. Si je ne vous ferrai pas l’affront de parler du minable 50 Shades of Grey (c’est vrai quoi, on a dit qu’on parlait de cinéma non?) quelques grands noms du cinéma d’auteur européen ont franchi le pas du film érotique ces dernières années. Après le dytique Nymphomaniac du sulfureux Lars Von Trier, c’est le réalisateur francophone d’origine argentine Gaspar Noé qui semble bien décidé à faire parler de lui avec Love. Vendu comme un «mélodrame sexuel», le nouveau film du réalisateur de Seul contre tous, Irréversible et Enter the Void sera projeté en séance de minuit au Festival de Cannes et fait déjà le buzz avec son affiche qui représente rien d’autre qu’un sexe masculin en pleine éjaculation. Mais pour tout vous dire, ce récent engouement de quelques cinéastes de renom pour ce que nous pourrions qualifier de «porno-soft» m’a plus agacé que réellement excité, au point d’avoir fait l’impasse sur le volume 2 de Nymphomaniac. Le problème de ces films, c’est qu’ils sont généralement plombés par un sérieux assommant. C’est précisément pour cette raison que nous vous proposons un petit détour par le Japon, là où érotisme rime avec humour et déjanté, pour ne pas dire débridé.
Le roman porno: cachez moi ce poil que je ne saurais voir
Aussi connu sous le nom de pinku eiga (littéralement film rose), le roman (pour romantisme) porno est un genre de film érotique particulièrement en vogue au Japon dans les années 60 et 70. Les téléviseurs s’étant démocratisés et les sociétés de production étant dans le creux de la vague, ces dernières cherchèrent des thèmes vendeurs. Et tout le monde sait que rien n’est plus vendeur qu’une paire de fesses. C’est ainsi que les studios s’orientèrent vers le pinku. Bénéficiant de la récente interdiction du porno, les pinku connurent un succès fulgurant. Là où le genre devient presque comique malgré lui, c’est que les réalisateurs devaient redoubler d’ingéniosité pour ne pas filmer le moindre poil pubien ni aucune scène de sexe explicite (ce que la censure interdisait formellement). On y voit donc régulièrement des acteurs se mettre dans des positions pas possibles pour cacher leurs parties intimes, ou, sans peur du ridicule, jouer de la guitare dans l’unique but de cacher leur sexe avec l’instrument. Des stratagèmes qui n’ont pas suffi à empêcher Kuroi Yuki, l’un des premiers romans pornos, à faire l’objet d’un procès pour obscénité en 1965. Loin d’être un genre en marge, le pinku eiga a donné naissance à quelques grands noms du cinéma japonais qui se sont ensuite imposés sur la scène internationale, à l’image de Kōji Wakamatsu.
Nagisa Ōshima
Qui dit cinéma érotique japonais dit forcément Nagisa Ōshima. Bénéficiant d’une renommée internationale depuis de nombreuses années en tant qu’auteur révolté, Ōshima s’est lancé en 1972 dans la production d’un film pornographique alors prévu sous le titre de La Corida de l’amour et retraçant l’histoire vraie d’une prostituée nommée Sada Abe. S’il n’est pas le premier Japonais à lorgner du côté de l’érotisme, il est régulièrement cité comme étant le premier réalisateur nippon à avoir osé braver l’interdit du sexe frontal et des poils pubiens. Si les autorités n’ont pas pu intervenir lors du tournage car le film était en partie produit par Anatole Dauman, un producteur français, elles ne se sont pas gênées de freiner sa distribution en bloquant les copies lors de sa sortie en 1976 sous le titre de L’Empire des sens. Censuré au Japon, le film connut un franc succès à l’étranger grâce notamment sa sélection à La Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Au-delà du scandale, L’Empire des sens est avant tout entré dans l’histoire du cinéma pour la beauté de ses images aux couleurs flamboyantes.
Les OFENI (Objets Filmiques Erotiques Non Identifiés)
Mais assez parlé d’histoire et venons-en au fait. Si le cinéma érotique japonais nous plaît tant, c’est surtout parce qu’il ose tout. Voici donc une petite sélection d’incontournables du genre.
Hanzo the Razor de Kenji Misumi, 1972
À l’époque où les pinku eiga cartonnaient, certains réalisateurs sortaient des sentiers battus et osaient quelques folies teintées d’érotisme. Le meilleur exemple est sans doute l’adaptation du manga de Kazuo Koike intitulée Hanzo the Razor et sous-titrée L’épée de la justice. Réalisé par le génial Kenji Misumi, la première adaptation d’Hanzo raconte l’histoire d’un détective peu orthodoxe. Incorruptible, ce dernier va enquêter sur l’évasion d’un dangereux criminel. Ses recherches vont le mener jusqu’à la maîtresse du fugitif, qu’il va falloir interroger… Et si Hanzo est expert du maniement de l’épée, c’est une toute autre arme dont il se sert lors de ses interminables séances d’interrogatoire. Hanzo the Razor vaut indéniablement le détour pour son outrance et son ambiance décomplexée: imaginez un détective qui se frappe le membre avec un gourdin pour le rendre bien ferme avant d’aller s’échauffer dans un sac de riz, qui attache ensuite les suspects dans un filet accroché à un poulie, se couche sur le dos et s’amuse à faire monter et descendre le dit filet… et ce jusqu’à ce que le suspect avoue son crime. À côté d’Hanzo, Dirty Harry et son colt est un enfant de cœur! Et si vous y prenez goût, sachez qu’il existe deux suites tout aussi délirantes au film de Misumi.
R100 de Hitoshi Matsumoto, 2013
Dernier film en date de Hitoshi Matsumoto, R100 met en scène une plongée dans les fantasmes d’un père de famille japonais moyen. D’apparence banale, ce père mène une vie ordinaire jusqu’au jour où il rejoint un club mystérieux auquel on ne peut adhérer que pour une année sans résiliation possible. Un monde de plaisirs s’offre alors à lui et des nombreuses femmes dominatrices viennent assouvir ses fantasmes les plus fous. Mais plus le temps passe et plus ces femmes s’immiscent dans la vie de ce monsieur tout-le-monde, allant jusqu’à s’approcher de sa famille, qui, forcément, ne se doute de rien.
Cette amusante exploration trashy des fantasmes cachés sous le voile de la pudeur nippone balaie toutes les conventions et enchaîne les scènes à la manière de sketchs. Parmi celles-ci, nous retenons surtout la séquence de la fameuse Saliva Queen, qui illustre le fantasme de se faire cracher dessus par une femme obèse tout de cuir vêtue.
Hentai Kamen / Forbidden Super Hero de Yuichi Fukuda, 2013
Et puisque la mode est aux super-héros, je ne pouvais m’empêcher de vous conseiller Hentai Kamen/Forbidden Super Hero. Hentai Kamen (littéralement Pervers Masqué) n’est pas un super-héros comme les autres. Si les superpouvoirs de Superman sont d’origines extraterrestres, ceux de Spider-Man dus à une piqure d’araignée radioactive, ceux de Hentai Kamen sont beaucoup moins conventionnels, mais aussi beaucoup plus drôles. En effet, c’est en enfilant accidentellement une culotte sale sur la tête que l’édutiant Kyosuke Shikijo se transforme en super-héros pervers. Avec un string bretelle et un slip sale sur la tête pour seul costume, Hentai Kamen parcourt la ville pour vaincre le crime. Et justement, là où HK/Forbidden Super Hero devient purement délirant, c’est que les techniques de combat de Hentai Kamen tournent toutes autour de son sexe. La palme revient à la fameuse attaque toupie de feu qui consiste à coller son membre sur le nez de son ennemi et à tourner aussi vite qu’une toupie, je vous laisse imaginer la scène. Potache, loufoque, caricatural Hentai Kamen/Forbidden Super Hero thématise de manière on ne peut plus décalée le paradoxe d’une société pudibonde qui cache bien des perversités.