Le film à voir... Ou pas!
Le vent se lève

«Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre!» C’est sur ce vers tiré du poème «Le cimetière marin» de Paul Valéry que s’ouvre le dernier film du roi de l’animation japonaise Hayao Miyazaki. «Dernier», dans tous les sens du terme, puisque le réalisateur de 73 ans a annoncé que cette onzième réalisation marquait la fin de sa carrière cinématographique. Le vers de Valéry prend alors tout son sens et sonne comme une ultime invitation au voyage. Et quel voyage!

Par TG, le 27.01.2014 - Ed. 24

Réalisé par: Hayao Miyazaki
Genre: Drame, animation 

étoile_5

Art et destruction

Pour son dernier long métrage d’animation, Hayao Miyazaki livre un monument d’une richesse inouïe. En s’inspirant de la vie de Jirô Horikoshi, le réalisateur s’interroge sur les rapports entre l’art et l’industrie militaire et plus généralement entre l’artiste et sa propre création. Ingénieur aéronautique chez Mitsubishi, Jirô Horikoshi n’est autre que le créateur des célèbres A6M Zero, les avions utilisés par l’armée japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale. Alors que sa myopie l’empêche de devenir pilote, le jeune Jirô se tourne vers l’ingénierie. Il pourra ainsi réaliser son rêve par l’intermédiaire de ses créations qu’il enverra dans les cieux.

Dans son élan créateur, Jirô va puiser son inspiration dans l’imaginaire. Perdu dans ses songes, il rencontre le célèbre concepteur d’aéronefs italien Giovanni Caproni qui l’encourage et l’inspire. À travers lui, c’est la figure de l’artiste que Miyazaki représente. Un artiste mû par l’unique désir de création. Sur les bons conseils de Caproni, Jirô entre dans une démarche créatrice qui n’a pas d’autre but que celui de mettre au point l’avion le plus rapide et le plus esthétique au monde: «Nous ne vendons pas des armes, lui souffle Caproni, nous voulons juste faire de bons avions». Car parallèlement à la démarche purement artistique et désintéressée de Jirô, la réalité nous rappelle que c’est bien pour l’armée japonaise, alliée de l’Allemagne nazie, que travaille ce dernier. Et c’est là que Miyazaki souligne avec une infinie subtilité la dimension dramatique du travail de l’artiste. En effet, Jirô est bien le seul à voir l’objet de sa création comme une œuvre d’art et non comme un atout militaire. En témoigne cette scène-clé où le jeune ingénieur résout le problème du poids trop important de sa machine en décidant de supprimer les canons. De leur côté, les collègues de Jirô voient en cet avion une arme redoutable. Si le A6M Zero est aujourd’hui célèbre, c’est notamment parce qu’il a embarqué de nombreux kamikazes japonais. Qu’importe dès lors la légèreté de l’arsenal embarqué, c’est l’avion tout entier qui se transforme en arme.

Ainsi, Miyazaki film l’élan artistique et révèle le décalage tragique qui se crée entre la volonté de l’artiste et le potentiel de destruction de sa création qui lui échappe peu à peu.

Une période de troubles

Avec «Le vent se lève», Miyazaki signe son film le plus grave et le plus mélancolique. Retraçant les événements noirs qui ont marqué la première moitié du XXe siècle (le terrible séisme de Kanton, la Grande Dépression, l’épidémie de tuberculose et finalement la guerre) le réalisateur surprend par le réalisme de son approche. Si tous ces éléments étaient déjà présents dans sa filmographie, le Japonais avait l’habitude de les intégrer par la métaphore ou d’offrir à son récit un exutoire dans l’imaginaire. Ici, tout semble mener au drame. Tuberculeuse, la muse et épouse de Jirô paraît résignée. Afin de ne pas gâcher l’un de leurs rares moments partagés – une poignée de main déchirante – elle accepte que son mari fume en sa présence, en dépit de son état de santé qui s’aggrave. À l’image de ce geste sacrificiel simple et magnifique, c’est le film tout entier qui affirme une volonté de lucidité (reconnue pour être la qualité première des mélancoliques).

Omniprésente, la guerre qui approche à grands pas n’est pratiquement jamais explicitement évoquée. Certains reprocheront au film et à Miyazaki de ne pas oser affronter l’histoire de son pays. Pourtant, le choix du réalisateur s’explique par le fait qu’il épouse le point de vue de son personnage principal pour qui, rappelons-le, la guerre ne représente pas un enjeu majeur ni une source de motivation.

Alter ego

Il y a des signes qui ne trompent pas. En truffant «Le vent se lève» de références autobiographiques, Miyazaki jette un dernier regard dans le rétroviseur et transforme son film en testament, confirmant ainsi qu’il s’agit bel et bien d’un adieu au cinéma et à son public. Lui même féru d’aviation, il doit sa passion à son père et à son oncle qui dirigeaient une entreprise en aéronautique qui produisait les gouvernes des Zero…  Né en 1941, il appartient à une génération marquée par la guerre et par l’attitude belliqueuse du Japon. Quant à la tuberculose, sa mère en a souffert au point de devoir rester alitée pendant neuf ans.

Plus que de simples références autobiographiques, «Le vent se lève» présente également une allégorie du travail de Miyazaki. En véritable perfectionniste, le fondateur du studio Ghibli (nom qui désigne d’ailleurs un avion de reconnaissance de la flotte italienne lors de la Seconde Guerre mondiale) a toujours revendiqué une méthode de travail artisanale, minutieuse et donc aux antipodes des lois de l’animation moderne dirigée par la politique du rendement. L’identification du réalisateur au personnage de Jirô, bête d’abnégation et de volonté, est évidente et donne au film un poids symbolique en même temps qu’une dimension autoréflexive sur le milieu même de l’animation.

Le prix des rêves

Finalement, la question que pose le dernier film d’Hayao Miyazaki est celle du prix des rêves, magnifiques et maudits à la fois. Jusqu’où les poursuivre et que doit-on leur sacrifier? Conscient de leur nature ambivalente et de cette dimension tragique, Miyazaki, s’il ne parvient pas à répondre, ne cède toutefois pas à la béatitude ni au pessimisme désespéré. Malgré ce constat doux-amer et le caractère quasi fataliste de ses personnages, il confère à son film un authentique souffle vital et nous invite à «tenter de vivre»… Malgré tout. 

 

Horaires: 

Tavannes, Royal (VF)
Samedi 8 février 2014: 18h00

Tramelan, Le Cinématographe (VF)
Dimanche 9 février 2014: 14h00

Moutier, Le Cinoche (VF)
Dimanche 23 février 2014: 16h00

Delémont, La Grange (VF)
Dimanche 23 février 2014: 14h30


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