Plantons le décor si vous le voulez bien:
Mois de février, -5 C°, lundi matin sur une grande place de parc de la région, un car postal attend patiemment de «bouffer du kilomètre». Autour de lui, des élèves sont occupés à entasser leurs bagages dans le ventre du véhicule, des parents sont éplorés à cause du départ de leur progéniture ou soulagés d’avoir enfin une semaine de break (c’est selon), des professeurs ont la mine dépressive à l’idée de passer 1 semaine perdue dans la montagne avec une bande de gosses surexcités, alors que leurs collègues vont se la couler douce chez eux, devant la cheminée, durant 7 jours.
Tout ce petit monde s’affaire quand soudain, une voiture débarque en trombe sur la place de parking, fenêtre ouverte, cockpit enfumé et musique à fond. Le véhicule s’immobilise et dans un nuage de fumée plus ou moins douteux, deux énergumènes sortent de la voiture, le cheveu en bataille, la clope au bec et la bière à la main: Il est 7h moins 1 minute, les monos sont arrivés!
«Bon les gosses, j’me présente j’m’appelle Fredo, lui c’est Manu! Shogun tonight! Alors autant être clair tout de suite, on n’est pas là pour se prendre la tête, on est en vacances, comme vous… Enfin en mieux..Shogun tonight! Alors si vous êtes cool, on sera cool, mais attention les chiards, si vous voulez jouer aux cons, Manu et moi on a tous les 2 un Bachelor en conneries… Shogun Shogun! Pour info, Manu il l’a même eu avec mention alors si vous voulez emmerder quelqu’un, emmerdez plutôt vos profs… Trop top Shogun tonight! Eux y ont l’habitude et en plus y sont grassement payés pour ça… Ce qui n’est pas notre cas… Shogun tonight Shogun!»
Le ton est donné, la semaine peut commencer!
Un chemin de croix!
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la vie de mono de camp de ski c’est pas une sinécure! Entre les gamins qui n’ont pas compris que le mono n’est pas un prof, celui qui vous fait tellement de la lèche qu’y a plus besoin de farter ses skis, ça glisse tout seul, celui qui veut jouer au mariole déjà dans le car à l’aller, celle qui pense que du haut de ses 13 ans elle a une ouverture avec vous, celui qui est venu en camp mais qui n’a pas envie de skier, celle qui a toujours froid et celui qui a toujours faim: une semaine en camp de ski c’est l’équivalent de huit frontaux avec un TGV, le tout dans la même journée!
Et en plus vous n’êtes pas payé!
Nous ne vous parlerons même pas des profs accompagnants tantôt malades à ne pas pouvoir venir skier, tantôt en burn-out déjà à l’heure du p’tit-déj! De plus,forcément, pour le camp, on vous a refilé les meilleurs, la crème de la crème du corps enseignant, le trio de choc: Mr Discipline, le flic raté reconverti en prof d’allemand, Mr Psychologue, celui qui analyse tout et pense tout régler avec des mots savants, et last but no least, Mme Valium, éternelle vieille fille abonnée à la boîte de kleenex et au Prozac!
Et en plus vous n’êtes pas payé!
Bref, aucune chance de pouvoir compter un tant soit peu sur leur autorité naturelle. Dès les premières minutes, à peine arrivé au chalet, vous comprenez vite qu’en fait c’est eux qui comptent plutôt sur vous pour ne pas avoir à s’ouvrir les veines avant la fin de la semaine!
Et en plus vous n’êtes pas payé!
Du coup, vous tirez votre première leçon de la semaine: comme mono, vous êtes livré à vous même!
Et en plus vous n’êtes pas payé!
Et bien entendu, vous êtes totalement et à 100% responsable de tout ce qui peut arriver aux gosses. De la foulure du poignet aux deux jambes cassées en passant par la crevasse, l’avalanche, l’hypothermie, quoi qu’il arrive, c’est de votre faute! Et on ne peut pas dire qu’on ne vous aura pas prévenu: le bon mono, c’est le mono bien assuré…
Et en plus vous n’êtes pas payé!
Des petits riens qui font tout
Mais n’allez pas croire que le mono ne soit qu’un esclave à la solde de quelques enseignants un peu pingres et paresseux. Non, le mono a aussi ses petits moments à lui, ses petites victoires! Ses parenthèses qui lui font oublier un élève malhonnête ou un souper dégueulasse! Dans le langage technique du moniteur, ce moment s’appelle: l’apéro!
Le seul et unique moment où le moniteur peut s’échapper du chalet pour aller sympathiser au bistro du coin avec l’autochtone moyen! L’instant de la journée qui peut rapidement déraper et se prolonger jusque tard dans la nuit. Dans ce cas on parle «d’après-ski prolongé» ou de « j’suis désolé j’ai pas vu l’heure passer». Bien entendu le mono paye souvent cher l’addition, premièrement parce qu’il n’est pas payé (sic), deuxièmement parce que les élèves eux n’ont pas 30 ans et qu’ils ont dormi quasiment 9 heures, et troisièmement parce que, le lendemain matin au petit déjeuner, entre 2 relents de génépi, on peut lire dans les yeux des enseignants présents (ceux qui ne sont pas restés au lit pour cause de flemmingite aigüe), comme un mélange de jalousie et de haine.
Oui, vous comprenez vite que la journée va être dure…
Et en plus vous n’êtes pas payé!
De bons souvenirs
Enfin, si vous tenez le choc toute la semaine, que vous survivez à la fatidique boum du dernier soir, que vous ramenez tous les élèves (et les profs) en vie à bon port, vous aurez droit à l’ultime récompense du mono, celle des adieux avec ces «charognes de gamins». Un salaire sous forme d’embrassades, d’enlaçades, de remises de lettres, de petits mots, de demandes d’ami sur Facebook et si vous avez été vraiment bon, on vous gratifiera même d’une petite larmichette!
Puis vous vous promettez que plus jamais vous ne vous ferez avoir, tout en sachant très bien, tout au fond de vous, que vous remettrez ça l’année prochaine!
Enfin, à la nuit tombée, lorsque la mission est accomplie, que tous les élèves sont rentrés et qu’il ne reste plus que les profs et les monos sur cette place de parc déserte, vient l’heure où l’un des enseignants vous propose gentiment un dernier verre tous ensemble.
Ce à quoi vous répondrez très poliment: «Bah dans la mesure où je ne suis plus obligé de rester avec vous, non merci ce sera sans moi!»
Ben ouais quoi… Faut pas exagérer, en plus vous n’êtes pas payé!