J’ai dû dégainer pour la première fois il y a une dizaine d’années. Encore rêveur et innocent, je pensais que chaque gibier m’offrirait son lot de belles surprises. Je me suis essayé au braconnage, pratique risquée mais qui peut offrir, avouons-le, de jolis moments d’excitations, le principal danger résidant dans le fait de savoir à qui appartient l’espèce protégée. Je devais avoir 14 ou 15 ans lors de ma première prise interdite, un oeil au beurre noir et une douce honte m’ont appris que la discrétion était une qualité indispensable à tout bon braconnier.
Mon arme semble prête et décidée, je le suis aussi. A la recherche de proies faciles pour me remettre dans le bain, le lieu-dit Le Soleil me semble l’endroit idéal. Les Anciens m’en ont parlé, c’est un repaire de vieux félins et même si la viande ne sera pas de première facture, je devrais en retirer quelque chose. Je m’approche discrètement et observe les environs. J’aperçois finalement une ombre en mouvement, puis deux, deux cougars. Leur pas est un paradoxe, à la fois hésitant – usé par le poids des kilomètres avalés – et décidé, irrassasiable, mené par l’instinct du prédateur. Certaines bêtes gisent sur le sol, il m’est difficile de distinguer les mortes des vivantes. Bref, rien de bien inédit à se mettre sous la dent, je m’en vais.
Je me rends dans la Plaine de la Légende, réputée pour ses antilopes. J’avoue ne pas être déçu, que de visions enchanteresses. Des antilopes, des gazelles, ça grouille, ça saute, ça court, je ne vais pas rentrer les mains vides, c’est certain. Ces bêtes-là ne sont pas vraiment réputées pour leur ruse et avec un peu de chance, je devrais pouvoir en dépecer plus d’une. Il faudra simplement être plus efficace que ces quelques chasseurs que j’aperçois au loin, mon expérience devrait faire l’affaire, sans doute. Les choses ne se passent pas exactement comme je les avais prévues, la rapidité de l’antilope me met soudainement face à mes limites, je n’ai plus 20 ans. La chasse a semble-t-il évolué, je suis complètement dépassé par ces jeunes adeptes qui semblent n’avoir aucune difficulté à mettre la main sur ces ruminants. Décidément, le constat est pour l’instant cuisant, je ne suis plus dans le coup.
Il est temps de revoir mes exigences à la baisse, je ne voulais pas en arriver là, mais comme souvent dans ces périodes de disette, on s’en va à La Suite, étendue farouche où on ne sait jamais sur quoi on va tomber. L’inconvénient du lieu est qu’on y rencontre bien plus de chasseurs que de proies, chasseurs auxquels viennent s’ajouter toutes sortes de charognards, vautours, hyènes, difficile d’y faire sa place. Je jette mon dévolu sur une jolie panthère au pelage noir, un magnifique animal. Je me cache sur une butte, dégaine mon fusil, le met en joue. La bête est superbe, presque trop pour rôder par ici, je me mets à saliver en pensant à la reconnaissance future que m’apportera cette prise de qualité. Perdu dans mes songes, je me laisse doubler par un vil personnage, peu fair-play sur ce coup-là, qui profite de mon moment de réjouissement pour appuyer sur sa gâchette, atteindre le félin d’un coup fatal, me sourire et se diriger vers sa cible.
Abasourdi, je n’ai pas la force de me révolter. Un troisième homme, témoin privilégié de la scène, s’approche de moi, pose sa main sur mon épaule et m’affiche un léger sourire empreint de moquerie et de compassion. Il me fait signe de le suivre. Je refuse. Il me raconte qu’il connaît un mec qui lui-même voit régulièrement un gars dont le cousin aurait rencontré un type qui se serait déjà rendu dans un endroit qu’on appelle Le Flamingo. Le nom est exotique, j’aime bien. L’homme m’explique le principe du lieu, il s’agit d’un ersatz de zoo où il est possible, contre de l’argent, de vider son chargeur dans un animal, histoire de se défouler après une soirée infructueuse de chasse. Le principe me paraît un peu barbare mais si c’est autorisé…
Sur place, je suis surpris par l’état pitoyable de la faune locale. Je ne suis pas spécialiste en jardin zoologique, mais j’imagine que les clients ne seraient pas déçus si les propriétaires lavaient de temps en temps leurs animaux. Au vu du bon nombre de têtes connues que je croise depuis mon arrivée, j’en déduis que je ne suis pas le seul à avoir raté ma soirée.
Bon bon bon… Moi qui pensais te vendre un peu de rêve et te redonner la foi, j’avoue m’être un peu planté. Soit je suis infiniment mauvais, soit il est impossible de conclure à Moutier. Pour éviter que tu te suicides dans la seconde, on va opter pour la première proposition.
Je crois que désormais t’as plus vraiment le choix, il faut que tu me prouves que le problème vient de moi et non de Moutier. Prends le taureau par les cornes, ou autre chose c’est toi qui vois, lustre ton arme, sors ta tenue de camouflage et à l’abordage! Et n’oublie pas, fusil affûté et esprit conquérant!