Portrait
Le Fono

Toutes les personnes qui sont passées par l’école secondaire de Moutier depuis les années 70 ont entendu le pseudonyme de Philippe von Niederhäusern: Fono. Il est plus rare, par contre, de trouver des individus s’étant intéressés à sa plus grande passion: la peinture. De tête, le moment le plus marquant où nous avons aperçu un tableau de Fono accroché à un mur, eh bien, il représentait une paire de fesse. «Ah! Les fesses du Didier!» s’exclame l’auteur de l’œuvre lorsque nous lui racontons cette indiscrétion. Allons à la rencontre de Fono en laissant Philippe à ses corrections de français.

Par SO, le 06.10.2015 - Ed. 39

L’enseigne de l’artiste

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C’est dans la petite bourgade d’Eschert que nos pas nous ont mené en ce début d’automne. À la recherche de l’atelier de l’artiste, ce dernier nous a facilité la tâche en affichant une pancarte près du centre du village. Nous le remercions d’ailleurs pour cette indication mais Eschert n’étant pas Zurich, bon gré mal gré nous aurions fini par trouver. En suivant l’enseigne, nous arrivons à l’atelier. Toc-toc et le peintre apparut. Le temps d’un instant, l’image qu’il nous renvoie nous rappelle le fameux et talentueux animateur d’espace et modeleur de vide Juan Romano Chucalescu. Toutefois, la ressemblance s’arrête à la veste blanche tachetée et à la crinière grise.

L’artiste enseignant

Il nous invite donc à nous immiscer dans son antre. Accompagné par des notes de saxophones émanantes d’une radio des années 90, c’est par une visite des locaux que cette rencontre débute. Mais minute papillon, avant de s’aventurer dans la description de cet univers, arrêtons-nous devant notre hôte comme nous le ferions devant un tableau. Fono, dit Philippe von Niederhäusern, Gémeau de 1954 va étudier à l’université de Berne pour obtenir le brevet fédéral d’enseignement secondaire. Le dessin et le français comme branches principales, il étudie également l’allemand et l’anglais « que je n’ai jamais du enseigner jusqu’à maintenant, fort heureusement » nous confie-t-il. Il a un fils, Léonard, qui fait actuellement un doctorat en mathématique.

Le dessin et la peinture étant à la fois une matière qu’il enseigne et sa passion dans son temps libre, il doit poser le pinceau pour corriger les dictées et les compositions. « L’école d’abord » nous dit-il, mais d’une certaine manière, la correction au stylo rouge d’un texte écrit à l’encre bleu sur du papier blanc ligné est une sorte d’œuvre, non ?

Pour le connaitre un peu mieux, Fono a répondu favorablement à notre demande et s’est prêté au jeu du portrait chinois.

Si j’étais un peintre ( 😉 ): Soutine.
Si j’étais un tableau: En tout cas pas un des miens, ils ont la vie dure!  Je serais un Rothko, ils sont secrets, dans un autre monde.
Si j’étais un philosophe: Diderot, le faiseur de livre, le génie universel et libre penseur.
Si j’étais une pièce de théâtre: La Leçon de Ionesco.
Si j’étais un conte de fée: Cendrillon.
Si j’étais un appareil domestique: Un fouet! C’est un bel objet, il mélange les trucs et j’aime bien ça.
Si j’étais un moyen de communication: Le train.
Si j’étais une source d’énergie: L’eau.
Si j’étais une pizza: Gorgonzola!
Si j’étais un homme idéal: C’est quoi?
Si j’étais un jeu de société: Le Jass ou la pomme, c’est selon.
Si j’étais une matière enseignée à l’école: Le dessin ou devrait-on dire éducation visuelle à l’heure actuelle.
Si j’étais un défaut: La tricherie (l’illusion). La peinture en soi est une tricherie si l’on pense à la pipe de Magrit par exemple.

L’enseignement de l’art

Reprenons donc la visite de l’atelier qu’il occupe depuis 1986. Derrière une petite porte se cache «l’épine dans le pied de chaque peintre» dit-il d’un ton amusé. Cette épine est en fait le stock d’œuvres accumulées en plus de 30 ans de travail. C’est à demi-mot qu’il nous donne quelques chiffres. 1200 tableaux de 100cm par 70cm, 800 de taille un poil (de pinceau) plus petit 50cm par 70cm et, répartis çà et là, encadrés ou entassés, 20’000 dessins. Curieux, nous nous laissons emmener dans la présentation d’œuvres piquées dans le stock.

Il présente les résultats d’un projet qu’il a suivi durant 3 ans: «Le sujet était l’hexagone dans un rectangle». D’apparence simple, au fur et à mesure de l’observation et des apports de l’artiste, cette forme géométrique nous transmet quelque chose. «Ne trouves-tu pas qu’il y a quelque chose de spirituel, qu’il pourrait trouver sa place dans une église?» nous confie le libre penseur. Le tableau avec ses nuances de jaunes, de dorés et de blancs, cet hexagone dans un rectangle, transmet une émotion particulière.

En rangeant ses cadres, il nous parle de l’artiste Mark Rothko dont l’affiche d’une de ses expositions trône sur la porte. «C’est subtil comme peinture. Pour en comprendre la subtilité il faut l’observer pendant 5, 10 ou 20 minutes selon les sensibilités» explique-t-il. Au fil des discussions et des moments d’observations nous prenons conscience de notre «marge de progression» dans la connaissance et la sensibilité de la peinture.

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L’art comme enseigne de sens

Après son projet sur l’hexagone dans un rectangle, il s’est concentré sur les visages entres autres. Fono a une période sur les silhouettes ou une autre sur les bérets rouges. «Le visage est notre moyen de communication, notre identité. Les yeux et la bouche sont le vecteur de quelque chose qui peut être authentique» exprime-t-il. Il a d’ailleurs passablement joué sur les masques que nous pouvons porter selon les circonstances. Plusieurs de ses œuvres y font référence. Dans le cadre de son enseignement, il a utilisé l’un de ses tableaux pour expliquer ce principe à ses élèves. Toutefois, il ne peint pas en ayant une idée précise derrière la tête (ni derrière le masque), pas de message ni de sens particulier. Ce n’est que plus tard que le tableau livre ses secrets, dans lequel un sens apparait.

Nous lui posons la question simple, voir un peu bobette, de savoir pourquoi il peint: «C’est justement dans la recherche d’un sens, d’une progression dans la peinture et grâce à la peinture. L’impression de ne pas sombrer dans l’idiotie en peignant, du moins essayer». Au-delà de ses réflexions philosophiques et/ou spirituelles, la peinture lui permet d’exposer et de faire de belles rencontres. Que ce soit dans son atelier ou dans des galeries régionales, comme celle de Soyhières, il a rencontré une multitude d’individus différents. Grâce à un tableau, il peut raconter quelques anecdotes. Par exemple, en mettant en scène un collectionneur amateur venant d’Eschert ou un autre, vraisemblablement plus professionnel, venant de Zoug.

Pour sûr qu’elles sont croustillantes ces anecdotes mais ce n’est pas ici que vous les trouverez. Cherchez «l’atelier Fono», allez toquer et peut-être que l’artiste vous ouvrira ses portes. Avec un peu de chance, il vous offrira un délicieux vin blanc (avec ou sans moucherons flottants) et qui sait, vous serez peut-être à l’origine d’une autre anecdote.

 


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