La Guillotine
La zen-attitude pour de faux

Pour une grande partie d'entre nous, la rentrée effraie, presque cauchemardesque. Quelques jours après le faste et l'orgiaque des fêtes de fin d'année, les débauches reposantes de ces périodes festives, il s'agit de prévoir la reprise au boulot. Penser janvier, c'est un un peu boire le calice rempli d'une bière trop amère jusqu'à la lie, plus très fraîche. Qu'on le veuille ou non, janvier c'est la reprise des affaires, le bordel quoi. Et qui dit bordel dit stress, ce bon vieux stress qui nous rend si aimable, si tendre et bien luné à l'heure de remettre l'ouvrage sur le métier. C'est dans cette période d'aigreur que l'on reconnaît le mieux les faux-zen, adeptes de la fausse zen-attitude. Non pas qu'on dénie au Ptit Ju l'existence des vraies forces tranquilles, mais ceux-ci transpirent souvent une sérénité bienfaisante contagieuse, comme une tasse de camomille. Les faux-zens se démarquent eux par leur habilité à faire semblant justement; ce sont, au mieux, de bons acteurs qui cachent derrière une façade "cool" une fainéantise, un art de la procrastination et l'égoïsme cultivés, propices à accentuer l'irritation. Comme des orties, et pas en tisane.

Par Dr. Guillotin, le 03.02.2015 - Ed. 33

Cacher la poussière sous le tapis

Plus qu’une guillotine, cet article est un billet d’humeur, à mi-chemin de la caricature, mais plus sérieux et moins dans la satire que dans le réel ras-le-bol. Loin de vouloir faire comme si, qu’on se le dise d’emblée: on ne va pas, comme il est normalement l’habitude de cette rubrique, s’attaquer à un problème de société et proposer une réflexion. Il s’agit plutôt de tacler un comportement type particulièrement nuisible au bon fonctionnement de notre vie sociale quotidienne, et celle-ci est particulièrement marquée, ici-bas, par notre travail. Mais la pseudo-zen-attitude n’est pas propre au domaine professionnel, évidemment. Ça peut être chez vous, dans votre famille, dans votre entourage, dans vos activités extra-professionnelles (sport, musique, peinture, cuisine, sommeil, vidage de fûts, alcoolisme, tabagisme, et j’en passe, certaines des plus sensibles).

Le pseudo-zen, aussi appelé faux-zen, est une imitation de la tranquillité, un camouflage, tout à fait conscient de cacher la poussière sous le tapis. Nul besoin donc de proposer une réflexion: ces comédiens de la vie sociale se savent pertinemment être des agents doubles. Leur véritable nature se révèle précisément lorsque la situation est exceptionnelle et qu’il faut mettre les bouchées doubles: les masques tombent parce que cette fois, la nécessité réelle l’emporte sur le prétendu caractère, et c’est alors que la lumière est faite. On s’aperçoit dans ces moments là que Monsieur Zen ressemble plutôt à Monsieur J’en-Fous-Pas-Une, et que derrière le  calme et cette apparence « pas-de-stress », réside une personne pas véritablement assidue et encore moins efficace. 

Pire, ces gens-là (entendez l’intonation qu’y donnait Brel), lorsqu’on a l’audace de leur en demander un peu plus, s’offusque généralement assez vite et font de vous le con de l’histoire. De façon improbable, vous êtes devenu le casse-couilles qui avez osé en demander trop et trop vite et qui êtes responsable du bordel général initié à la base par ce boulet. Le poids du malaise et de la culpabilité est maintenant sur vos épaules, pour avoir eu le toupet de demander que le travail qui devait être fait soit fait. Mais qu’on se rassure, être le con d’un con, c’est comme les moins en maths, ça annule tout.

Les pros de la procrastination

Or donc, qui se cache derrière cette escobarderie de quiétude? Impossible, comme toujours, de généraliser. Mais le point commun que partagent tous les adeptes du zen de bas étage est certainement un goût prononcé pour la procrastination, terme un peu long et pas très beau, voisin de fainéantise et nonchalance. Seulement, cette fainéantise pratiquée au milieu des autres, là où tout le monde devrait être à la même enseigne, se transforme en un égoïsme de luxe. Qu’elle ou il s’avance celle ou celui qui n’aime pas sa petite pause ou son moment tranquille lors duquel personne ne vient l’emmerder. Mais là n’est pas la question. 

Le problème du pseudo-zen, c’est justement de faire de ses journées les plus longues pauses possibles cachées sous les beaux airs de la sérénité. Quand tout le monde tire à la même corde ou presque, le pseudo-zen se met tout derrière avec une main gantée sur la corde et l’autre sur son portable, sa clope ou son café. Plutôt que d’être un vrai tire-au-cul, il se montre sous une nature qui n’est pas la sienne pour mieux ne rien faire.

Premier aux pauses, premier sorti mais dernier arrivé, bref, premier et seul au sommet de la hiérarchie universelle de la glande, il faut également noter sa propension à prouver aux autres en tout temps qu’il est impératif de ne pas se stresser pour rien (entendez par là ce pour quoi il est payé, sinon considéré) avec un certain brio. Ce type de comportement inclut également un talent non négligeable pour rappeler et ramener à la face de tous ce qui a été fait (pour de vrai) dans les moindres détails, histoire de prouver à tout le monde que Madame ou Monsieur n’est pas inactif ni passif, mais simplement moins stressé, ce qui est à n’en pas douter bien plus efficace (comprenez par là que vous êtes du mauvais côté de la Force). Plus facile de se rappeler quand il y a si peu à se remémorer; comme le dit la fameuse antanaclase (à peine retouchée): le travail, c’est comme la confiture, moins on en fait, plus on l’étale. 

Aux côtés de la fainéantise dans les caractéristiques urticantes des pseudo-zen se trouve également la libre appréciation du temps et, conséquence directe, des horaires. Le retard est une composante systématique de la fausse zen attitude. Pour les principaux intéressés, pourtant, pas de quoi paniquer et d’en chier une pendule. Personne ne devrait donc se soucier du temps, faut déstresser un peu et prendre son temps. Sauf que pendant la demi-heure passée à attendre sur de pareils égoïstes, comme si nos habitudes horaires se calquaient sur les leurs, y a les gosses qui attendent à la maison, l’eau qui bout, le souper qui crame, le train qui se tire. Ouais, y a le putain de feu au lac.

Calamité sociale

On a plein d’exemples en tête, et quelques cas précis mériteraient qu’on les expose au grand jour. Sûrement qu’avec autant de sérénité, ces calamités déguisées réagiraient avec flegme. Enfin, il est temps de boucler l’article, la patronne est fâchée, la deadline était il y a deux jours. Tout le monde saura sans doute trouver pas loin de chez lui une incarnation de cette bonne vieille zen attitude qui rend tout le monde plus énervé que jamais. Comme ces collocs qui n’en branlent pas une lorsqu’il s’agit de faire le ménage et répètent à l’envi que ça ne presse pas, et rappellent ensuite pendant trois mois qu’ils ont fait la poussière avant-hier. Comme ce collègue qui arrive en retard avec une régularité constante aux séances de département, se casse dix minutes avant la fin pour aller tirer son café tranquillou. Bref, on ne va pas épiloguer. Il n’en demeure pas moins que, et de façon sérieuse, l’accumulation dans le temps de ce genre de comportements à tendance à nous rendre mûrs avant l’âge. La meilleure solution reste probablement de devenir zen soi-même – réellement zen. 


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