Rêveries biomécaniques
Après avoir étudié l’architecture et le design industriel, le natif de Coire, s’est installé à Zurich pour exercer le métier d’architecte d’intérieur. Mais rapidement, il se consacre exclusivement à l’art. Ce passionné de psychiatrie (l’une de ses premières toiles s’intitule «Fressen für den Psychiater») affirme très tôt son goût pour l’imaginaire et les rêveries: à 25 ans, il tient un journal dans lequel il décrit ses rêves.
En 1967, il rencontre à Zurich le réalisateur uranais FrediM. Murer avec lequel il tourne un court documentaire sur ses premières peintures. À l’époque, le travail de Giger possède déjà toutes ses singularités. En effet, c’est à 27 ans qu’il donne naissance à ses premières figures biomécaniques: des créatures hybrides qui mêlent organismes vivants et propriétés mécaniques.
S’inspirant du travail de Jean Cocteau mais aussi de Gustave Moreau, d’Hector Guimard et de Hans Bellmer, les œuvres mutantes de Giger, tout droit sorties de ses visions fantasmagoriques font rapidement parler de lui. Loin d’être anecdotiques, ses premières œuvres on véritablement préfiguré, avec plus de dix ans d’avance, l’arrivée massive de l’hybridation dans l’art des années 80. Si le travail du Grison pouvait choquer, dans les années 70, par son caractère sexuel explicite et son dérangeant mélange de chair et de machine, il a rapidement ouvert la voie à une invasion de la technologie sur le corps humain qui n’étonne plus personne aujourd’hui.
Un alien en Suisse
Si H.R. Giger est essentiellement connu pour avoir créé la créature et les décors du film «Alien, le huitième passager» de Ridley Scott sorti en 1979, il ne faudrait toutefois pas le résumer à cette simple performance, aussi marquante soit-elle. En effet, Giger n’a pas attendu 1979 pour créer des figures d’extraterrestres pour le cinéma. En 1968 déjà, il avait imaginé une créature extraterrestre pour sa seconde collaboration avec Fredi M. Murer: un étrange docu-fiction mettant en scène un alien biomécanique dont la carapace était incrustée d’une caméra lui permettant d’enregistrer les derniers soubresauts d’une Suisse futuriste, parfaite, bétonnée et administrée à l’extrême. Si peu de monde se souvient de cet étrange «Swissmade 2069», il n’en est pas moins indispensable à la compréhension de l’œuvre de Giger et de son évolution.
Son influence sur le 7ème art
Avant de connaître la gloire et de recevoir l’Oscar des meilleurs effets visuels pour «Alien, le huitième passager», Giger avait collaboré avec le génial Alejandro Jodorowsky sur son projet d’adaptation du roman «Dune» qui ne verra jamais le jour. Étonnamment, son couronnement à Hollywood ne donnera pas lieu à énormément de nouveaux mandats. Après «Alien», il faut attendre 1986 et le bien médiocre «Poltergeist 2» de Brian Gibson pour revoir son nom au générique d’un film. Alors que James Cameron s’était passé de ses services pour «Aliens – Le retour», le Suisse est rappelé pour prendre part au troisième opus de la série. C’est ensuite Roger Donaldson qui le sollicitera pour créer le visuel de «La Mutante» en 1995. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et Giger voit son travail spolié par de trop nombreuses (et surtout trop propres!) images de synthèses. Afin de boucler la boucle, Ridley Scott contacte une nouvelle fois l’artiste en 2010 pour prendre part à l’élaboration de «Prometheus» qui restera sa dernière incursion dans le domaine du cinéma.
H.R. Giger n’aura donc travaillé pour le cinéma qu’une demi-douzaine de fois. Malgré ce nombre relativement peu élevé, son travail n’a pas manqué d’influencer l’imagerie de très nombreux films. Des espèces biomécaniques dans l’univers de Star Trek appelées les Borgs (qui apparaissent pour la première fois dans la deuxième saison de «Next Generation» en 1988) au le visuel de la planète Krypton dans le très récent «Man of Steel» et ses capsules ô combien phalliques en passant par le travail de Katsuhiro Otomo: l’ombre de Giger plane sur une quantité impressionnante de productions.
L’un des exemples les plus frappants étant la scène de réveil de Néo dans «Matrix», lorsque ce dernier prend conscience, dans une vision d’horreur purement biomécanique, de n’être qu’un corps en incubation relié à des machines par d’innombrables tuyaux.
Pour sûr, la noirceur de l’imaginaire de Giger n’a pas fini de rayonner sur le 7ème art.
Giger à Gruyères
Outre cet héritage artistique colossal, Giger nous aura laissé un musée dans le petit bourg médiéval de Gruyères (Fribourg) et dans lequel nous pouvons toujours admirer ses œuvres les plus marquantes: xénomorphes, Atomkinder, toiles, mobilier et autres sculptures phalliques. À deux pas de ce dernier, le bar Giger offre la possibilité de siroter un verre dans un cadre fantasmagorique. Lors de votre visite, n’oubliez d’en boire un en son honneur.