La nuit est tombée et le temps est cochon. La route chaotique qui nous mène chez elle, tout en haut du village de Perrefitte, est sombre et digne du meilleur film d’horreur. La dame qui nous ouvre la porte est pomponnée, tirée à quatre épingles et souriante à souhait. Geneviève Derome-Glatzfelder, dite Jenny, nous précède dans l’escalier de marbre. Partout sur les murs, elle a accroché ses tableaux d’obédience abstraite à dominante rouge, comme la déco de la maison. C’est, dit-elle, la couleur qui incarne la lumière, le bonheur, la joie. Pas un aboiement de sa chienne berger allemand qui vient quérir quelques caresses entre les miaulements de ses chats, et elle se livre.
Une vie de lumière et de paillettes
Elle a une enfance heureuse et choyée auprès de son papa et de sa maman qu’elle surnomme affectueusement Néné. Désireuse d’apprendre les langues, elle part étudier à Munich. A la terrasse d’un café, elle est repérée par un photographe, et c’est là que tout commence. Jenny devient alors une muse convoitée et aura même les honneurs de Sam Lévin, photographe mondialement connu pour ses portraits. Elle fait son «book» (livre de présentation en photos) et commence à découvrir les voyages. Elle pose pour Nina Ricci. Pour l’anecdote, un jour dans un port, avec quelques amies toutes aussi jolies qu’elle, une meute de photographes mitraillent à tout va. Déjà le succès? Mais non, c’était pour le yacht de John Wayne! De fil en aiguille, elle commence les défilés. D’abord pour Jacques Esterel, mais surtout pour Dior. Elle s’inscrit alors dans des agences à Paris, Zürich et Milan et travaille dans l’Europe entière, pendant une dizaine d’années.
Puis un jour, elle découvre une annonce dans un journal qui cherche une démonstratrice itinérante pour des cosmétiques. Jenny à l’avantage de parler cinq langues et devient rapidement directrice mondiale de la formation du personnel chez Elisabeth Arden. On est alors dans les années septante et c’est à nouveau pendant une dizaine d’années qu’elle fréquentera les Hilton et Sheraton du monde entier, menant grande vie, mais une vie saine, sans fumée et sans alcool. Elle sera même l’invitée du roi Hussein de Jordanie. Ensuite, elle quitte les aéroports, voyages et déplacements avec chauffeur. Elle épouse son amour, qui la suit depuis quelques temps, et aspire à une vie plus sédentaire. C’est en pleurant qu’elle tire un trait sur cette vie trépidante et retrouve ainsi ses racines prévôtoises.
Du bar à la peinture
D’abord patronne d’une discothèque, elle devient ensuite propriétaire de son pub bar cabaret actuel, le Jenny’s pub de Crémines. Mais si elle l’exploite toujours, elle n’y travaille plus personnellement depuis une quinzaine d’années pour se consacrer à sa nouvelle passion, la peinture. C’est en visitant Art-Basel qu’elle a un déclic et se découvre une fibre artistique. Et elle peint, Geneviève, d’abord timidement, sans rien dire à personne, puis passionnément. En parfaite autodidacte, elle ne souffle mot de ses techniques, mais on sent bien que sa peinture abstraite est intimement liée à son parcours de vie, à sa joie d’exister. Ce sont les fenêtres de mon âme précise-t-elle. Le rouge est sa couleur de prédilection, comme pour défier la grisaille de chaque jour, avec des parties de toile brutes. Acrylique ou huile, ses tableaux lui ressemblent, sa technique évolue et change, mais en cherchant toujours le juste équilibre. Dernièrement, elle s’est inspirée d’un reportage sur les fameuses twins towers enflammées. Vous avez dit rouge?
En juillet 2011, relations aidant, elle est invitée à exposer dans le sud de l’Italie, à Specchia, dans le cadre de la célèbre Académie des Arts. Et là, c’est carton plein. La critique reconnaît en Geneviève Derome une artiste aboutie et authentique qui ne subit aucune influence, sauf celle qui naît de son étrange personnalité, personnalité hors-norme et fascinante. Et elle ira encore plus loin. Elle a tissé des liens avec un ministre qui lui ouvrira les portes d’une exposition à Rome, vraisemblablement en mai 2013. Bon vent, la muse devenue artiste.