Novembre 2013: refus de l’accord d’association avec l’UE et premières manifestations
Pour camprendre ce qui a provoqué une telle crise politique puis internationale, il faut revenir au 21 novembre dernier. Ce jour-là, malgré des mois de négociations, le président Ianoukovitch et son gouvernement décide de ne pas mener à terme l’accord d’association avec l’UE, qui aurait dû les rapprocher de Bruxelles, pour plutôt se concentrer sur les relations avec la Russie, «une priorité», selon le premier ministre ukrainien Mykola Azarov. Cette décision marque un tournant dans la politique internationale de l’Ukraine, qui de fait, se rapproche de son voisin russe et se distancie très clairement de l’Europe, cette décision annulant de facto des semaines de pourparlers en bonne voie. Pour l’opposition, cette décision est un non-sens; elle parle de «haute trahison», jugeant qu’elle n’est autre que le fruit des pressions russes et des velléités pro-russes de Ianoukovitch, qui avait d’ailleurs reçu de façon impromptue son homologue Poutine quelques jours plus tôt.
Dès lors, une première vague de manifestations et de protestations a lieu, qui commence fin novembre jusqu’en décembre, surtout à Kiev, la capitale. Dans la nuit du 29 au 30 novembre, environ 10’000 manifestants sont évacués de la Place de l’indépendance par la police anti-émeute, de façon très violente, qui fait plusieurs dizaines de blessés. C’est le début, d’une part, des dérives autoritaires et violentes des autorités ukrainiennes, et d’autre part, d’un rassemblement populaire de très grande ampleur. Dans les jours qui suivent, début décembre, on parle de centaines de milliers de manifestants, bien que les chiffres varient évidemment selon les sources. Les manifestants occupent la mairie et bloquent les accès aux bâtiments gouvernementaux pour réclamer la démission de Ianoukovitch et de son gouvernement. Plusieurs affaires provoquent un émoi général, qui discréditent d’autant plus Ianoukovitch et entraînent une vague de protestations toujours plus importantes, notamment l’agression, le 25 décembre, de la journaliste opposante Tetiana Tchornovol, peu après avoir publié un article critiquant Ianoukovitch.
Dérives anti-démocratiques et destitution de Ianoukovitch
Malgré une loi édictée le 27 décembre interdisant l’occupation des bâtiments sous peine de lourdes condamnations pénales, les manifestations continuent. Dans l’ouest du pays, traditionnellement plus pro-européen, de nombreux bâtiments administratifs sont occupés en signe de protestation. Le gouvernement essaie alors de contrer et de stopper les flots de manifestants en adoptant des lois de plus en plus répressives. A la mi-janvier, le Parti des régions notamment (celui de Ianoukovitch), vote au parlement des lois anti-manifestations. A celles-ci s’ajoutent plusieurs autres lois qui tentent de museler la liberté d’information, favorisant notamment la fermeture de certains sites Internet jugés diffamatoires, sans décision de justice. Il y a aussi le célèbre épisode des SMS, reçus par les manifestants à ce moment-là, leur disant: «cher abonné, vous êtes enregistré comme participant à un trouble massif de l’ordre public.» Ces SMS sont envoyés directement sur les portables des manifestants, via un système de localisation, qui traduit la mainmise des autorités sur les moyens de répression et la dérive autoritaire du gouvernement. Mais les mesures drastiques adoptées par les autorités gouvernementales de Ianoukovitch ne font que renforcer les protestations de masse; le 19 janvier, on dénombre environ 200’000 manifestants dans le centre de Kiev. Face à l’ampleur grandissante des manifestations populaires et aux condamnations internationales quant à la brutalité des autorités, Ianoukotvitch promet de remanier le gouvernement et de procéder à l’amendement des lois répressives récemment entrées en vigueur. Le 28 janvier, le premier ministre M. Azarov démissionne, et la Rada abroge les récentes lois. Mais la dynamique ne change pas pour autant. Ianoukovitch ne part pas, et refuse de procéder à des élections comme les manifestants le souhaiteraient. Après plusieurs jours d’accalmie, les protestations reprennent. Le 18 février, les manifestations basculent dans la violence. Alors que les autorités lancent un ultimatum et tentent de reprendre la place Maïdan (où campent des milliers de manifestants), les affrontements dégénèrent. Le 19 février, on compte 25 morts: 15 manifestants, un journaliste, et 9 policiers. Le 20 février, avec l’accord du ministre de l’intérieur, les forces de l’ordre sont autorisées à faire feu sur la foule à balles réelles. Cette fois, le bilan est encore plus lourd. On parle d’une centaine de morts, et des centaines de blessés. Malgré l’arrivée à Kiev de certains ministres étrangers allemand, polonais et français et la conclusion d’un accord entre le président et l’opposition quelques jours plus tôt, le 22 février au soir, Ianoukovitch fuit Kiev. Aussitôt, considérant le pouvoir vacant, le Parlement destitue Ianoukovitch, après avoir notamment suspendu le Ministre de l’Intérieur, et entérine des élections présidentielles en date du 25 mai. C’est aussi la libération de Ioulia Tymochenko, en détention depuis 2011 pour une soi-disant affaire d’abus de pouvoir. On nomme alors un gouvernement de transition, bien que Ianoukovitch, envolé, dans une apparition télévisée, nie avoir délaissé sa fonction de président et parle de «coup d’Etat».
La crise de la Crimée et les conflits à l’est du pays
Dernier épisode en date dans la crise ukrainienne, la question de la Crimée et son rattachement à la Russie sont des conséquences directes de la crise politique qui s’est déroulée dans les mois précédents. Traditionnellement, la partie est du pays marque une tendance pro-russe affirmée. Lors des élections présidentielles, ces régions avaient nettement porté leur préférence sur Ianoukovitch, et les événements de Kiev ne sont pas aussi bien accueillis dans l’est de l’Ukraine que dans la partie occidentale. Ces régions sont par ailleurs russophones dans une importante proportion. Plus encore, les habitants de ces régions sont souvent d’origine russe, ou de descendance russe.
Mais même parmi ces régions, la Crimée occupe (ou occupait) une place à part en Ukraine. Depuis 1998, la Crimée est une région autonome, rattachée à l’Etat unitaire d’Ukraine, mais possédant sa propre constitution, son propre parlement et un chef d’Etat. Par ailleurs, toute une partie de la région est sous contrôle russe, soit le port militaire de Sebastopol, qui donne un accès stratégique à la flotte russe sur la Mer noire. Peu après la destitution de Ianoukovitch, des manifestations ont lieu en Crimée, la population et les autorités pro-russes n’acceptant et ne reconnaissant pas le nouveau gouvernement central ukrainien. Le 27 février, la Russie déploie des troupes à la frontière sans menacer ouvertement la souveraineté ukrainienne, mais tout en affirmant qu’elle considère le nouveau gouvernement ukrainien illégitime. Le jour suivant, des hommes armés pro-russes, aux blasons non reconnus, prennent le contrôle de l’aéroport de Simferopol, puis de Sebastopol. Aux accusations ukrainiennes, qui soupçonnent les insurgés armés d’être des soldats russes, le Kremlin ne répond que vaguement, prétendant que ce ne sont là que des forces d’auto-défenses locales. Toutefois, les différents journalistes présents sur place maintiennent qu’il s’agit de vrais soldats entraînés et bien armés, d’où les fortes suspicions quant à leur véritable origine. Dès lors, le conflit devient une question internationale. Le 1er mars, Poutine obtient le droit auprès du Sénat d’intervenir militairement en Crimée, motion qu’il demande suite à «l’appel à l’aide» du premier ministre de Crimée, qui prétend répondre aux besoins sécuritaires des Criméens en motivant une intervention russe. Toutefois, il n’y a pas de conflits directs entre l’armée russe et ukrainienne, même si la situation est tendue. Un référendum est prévu pour le 16 mars, par lequel les Criméens doivent choisir entre une autonomie renforcée face à l’Ukraine, ou une intégration à la Russie. Le 11 mars, la Crimée déclare son indépendance. Le 16 mars, l’intégration à la Russie est plébiscitée par environ 97% des voix, et deux jours plus tard, le 18, la Russie inclut la Crimée comme sujet fédéral de la fédération de Russie. Malgré les réactions de Kiev et des diplomaties étrangères comme les Etats-Unis, la France, ou l’Allemagne, qui soulignent l’aspect illégal du référendum, contraire au droit international, les forces militaires ukrainiennes présentes en Crimée se retirent lentement dès le 20 mars. La Crimée st désormais russe. Quant à savoir les réels intérêts qu’a Poutine en Crimée, il est difficile de trouver une réponse tout à fait complète et satisfaisante. Pour la plupart des observateurs, il s’agit avant tout d’une démonstration de force et d’une victoire diplomatique importante de Poutine face à l’UE; la Crimée ne représente en effet pas une véritable position stratégique majeure, puisque Simferopol était déjà en main russe, ni ne contient de véritables ressources dans des quantités significatives. Toujours sous couvert de «défense de ses citoyens», le président russe a réussi à faire jouer son influence tout en évitant un conflit ouvert. Malgré les répercussions des mesures de rétorsion prises par l’UE et les Etats-Unis, Poutine demeure le grand gagnant de la crise de Crimée.
Plus récemment, les événements de Crimée ont provoqué un effet « domino » dans le reste de l’est ukrainien. La situation actuelle dans certaines villes de l’est de l’Ukraine semble n’être qu’une répétition des événements qui ont eu lieu en Crimée, bien que la donne demeure différente. L’escalade de violence dans les villes de l’est, à Slaviansk notamment, a fait beaucoup morts. L’est de l’Ukraine, qui est aussi la partie la plus riche du pays, la plus industrialisée, a lui aussi été le théâtre de manifestations pro-russes et de la prise de pouvoir locale de milices pro-russes inconnues. Mais cette fois, le gouvernement ukrainien n’a pas laissé libre cours à ces velléités russophiles. Face à la situation très difficile, les autorités ont lancé des opérations armées d’envergure pour contrer ceux qu’ils définissent comme des «terroristes», dans une région qui est d’importance capitale pour le pays, dont l’intégrité territoriale est menacée par la multiplication des points chauds. Malgré les tentatives de médiation de certains pays européens, la situation semble échapper au gouvernement ukrainien. Il est là aussi difficile de cerner à sa juste valeur l’influence russe, bien qu’il ne fasse presque aucun doute que des moyens aient été donnés aux insurgés pro-russes dans le plus grand secret, selon les observateurs et les journalistes présents sur place. La Russie elle-même vient de prévenir l’Ukraine, officiellement, des risques d’une guerre civile, alors qu’elle semble en être elle-même l’instigatrice, cherchant, selon certains spécialistes, à perpétuer le chaos en Ukraine à l’heure même où le gouvernement devrait s’atteler à relever un pays encore en crise, et alors que se profilent à l’horizon les élections présidentielles du 25 mai, dans une situation plus que catastrophique.
A quand la fin du conflit?
Alors que certains pensaient voir la fin de la crise avec la destitution de Ianoukovitch le 22 février dernier, les événements ont pris une tournure bien pire que la situation le laissait présager. Malgré les sanctions et menaces de Etats-Unis et de l’UE vis-à-vis de Poutine, malgré leur aide à Kiev, la conjoncture ukrainienne est dans une passe noire, et rien ne semble annoncer une amélioration. A l’heure où nous terminons d’écrire ces lignes, nous apprenons qu’à Odessa, ville du sud, sur la Mer noire, des violences ont éclaté à leur tour. Plusieurs questions, plusieurs hypothèses demeurent à ce jour. Lors de leur récente rencontre, Obama et Merkel ont fait mention de potentielles nouvelles sanctions à l’égard de la Russie, dont le rôle de catalyseur dans cette crise n’est plus à prouver – comme l’ont confirmé encore récemment les renseignements suisses –, bien que les paroles officielles du Kremlin demeurent à ce jour dans un ton diplomatique toujours plutôt bienveillant et conciliant. Mais si Obama souhaite réellement serrer la vis, Merkel rappelle que l’UE des 28 souffrirait énormément de sanctions russes sur le gaz. Et si sanctions il devait y avoir, quelles en seraient les conséquences sur la crise ukrainienne? Jusqu’à maintenant, les sanctions approuvées contre la Russie, malgré leurs effets nocifs sur l’économie russe, n’ont pas empêché Poutine de continuer sa politique interventionniste. La question se pose aussi dans le sens opposé: quels sont les intérêts de Poutine? La réponse la plus probable est qu’il veuille éviter la mise en place d’un gouvernement pro-européen légitime à Kiev pour le moment. Si l’intérêt de l’UE est d’éviter à tout prix une guerre civile à ses portes, à l’inverse, jusqu’où Poutine est-il prêt à aller maintenant qua la situation en Ukraine est chaotique, et que les insurgés pro-russes ont été attaqués? Ne serait-ce pas, pour lui, le bon prétexte pour s’engager, ouvertement cette fois, dans un conflit? Toutes ces questions restent aujourd’hui en suspension. La situation se dégrade, cela est indéniable, mais le développement que va connaître la crise ukrainienne reste un gros point d’interrogation.
Sources:
www.lemonde.fr, www.lefigaro.fr, www.letemps.ch, www.hebdo.ch, www.reuters.fr
« Le Ptit Ju s’est intéressé au sujet, et s’essaie brièvement à rendre un peu plus claire toute la question. »
http://buzzready.tv/2014/01/john-mccain-met-with-accused-anti-semite-neo-nazi-leaders-in-ukraine/
Ah, j’y vois plus clair ! Si je camprands bien, le ptit ju aime les putschs saupoudrés de sucre-glace totalitaire ?
J’imagine pas ce qui se dirait si les votations dans notre région au sujet d’indépendances régionales avaient été déclarées: illégales et contraire au droit international…