Le film à voir... Ou pas!
A Most Violent Year

Se parant des atours du classicisme hollywoodien pour mieux le réinventer, le troisième long métrage de J.C. Chandor marque l’entrée de son auteur dans l’Histoire du cinéma. Non content de tutoyer des géants tels que Scorsese, Lumet et Coppola, il s’émancipe de leur influence de la plus belle des manières.

Par TG, le 29.03.2015 - Ed. 35

Au cœur du mal

1981, New York vit son année la plus violente. Assassinats, braquages et corruption faisandent la Grosse Pomme. C’est dans ce contexte qu’Abel Morales (Oscar Isaac), un marchand de mazout d’origine immigrée, tente de prendre le dessus sur la concurrence en achetant un lopin de terre à une famille juive qui lui donnerait un accès direct à la mer. Mais, alors qu’il attend la confirmation d’un important prêt bancaire qui lui permettrait de conclure la vente, ses camions-citernes se font braquer les uns après les autres à la manière des diligences et un procureur zélé le place sous enquête. Dans de telles conditions, Morales perd la confiance de son banquier qui menace de se rétracter. S’il veut assurer la prospérité de son entreprise, il va devoir trouver un moyen auxiliaire pour s’offrir la parcelle qu’il convoite…  

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L’anti Joe Pesci

Vu d’ici, nous pourrions penser que nous avons à faire à un énième film de gangsters scorsesien, où les personnages ne savent répondre à la violence que par l’escalade de cette dernière, surtout lorsqu’on sait que l’avocat d’Abel Morales se fait appeler «le bandit». Qui plus est, que son épouse (incarnée par Jessica Chastain) est la fille d’un escroc notoire et plutôt partisane de la méthode forte. Toutefois, et c’est là l’originalité du film, le personnage de Morales luttera jusqu’au bout pour arriver à ses fins sans se salir et sans trahir sa morale et son idéal d’honnêteté: «le but n’est pas le plus important pour moi, c’est le chemin qui y mène qui m’importe», affirme-t-il pour tenter de convaincre ses interlocuteurs de sa droiture.

Si le mal entoure Morales et l’assaille de toute part, ce dernier fera tout pour ne pas être contaminé. En ce sens, le personnage principal de «A Most Violent Year» peut être perçu comme l’antithèse des «héros» scorsesiens. En témoigne cette réunion des grands pontes du mazout qui aurait très certainement donné lieu à une explosion de violence chez le réalisateur des «Affranchis», mais qui souligne ici l’abnégation pacifiste du personnage écrit par J.C. Chandor.

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Le Nouvel Hollywood est mort, vive le Nouvel Hollywood !

Depuis la fin du Nouvel Hollywood au début des années 80, le cinéma américain a donné naissance à un nombre très réduit de véritables auteurs capables de dépasser le cadre presque confidentiel des films estampillés «indépendants». Pendant quelques années, James Gray, Paul Thomas Anderson – ensuite rejoints par Jeff Nichols – semblaient représenter à eux seuls la relève. Mais avec son étourdissante analyse de la crise en forme de huis clos («Margin Call», 2011), sa traversée de la mer en solitaire avec un Robert Redford pratiquement muet («All is Lost», 2013) auxquels il faut désormais ajouter «A Most Violent Year», cet hybride à mi-chemin entre le western urbain et le film de gangsters, J.C. Chandor semble bien décidé à agrandir le cercle de ces rares réalisateurs indépendants capables de rivaliser avec les cinéastes qui évoluent sous l’égide des grands studios. En effet, il y a une soif de cinéma dans les films de J.C. Chandor, une passion viscérale qui habite chacun de ses plans et qui témoigne de son envie de redonner vie à un héritage cinématographique tout en s’en affranchissant. Car si «A Most Violent Year» évoque instantanément des œuvres telles que «Serpico», «Mean Streets», «The French Connection» ou encore «Le Parrain», son réalisateur réussit, à l’image de Morales qui se démène pour rester intègre, à tracer son chemin vers une identité qui lui est propre.

C’est ainsi qu’il garde ses distances avec la violence évoquée dans le titre en traitant cette dernière comme l’horizon caché d’une menace sourde et tentaculaire – parfaitement représenté par la géniale bande-originale d’Alex Ebert – plutôt que comme une nécessité narrative. Au final, J.C. Chandor aborde la violence comme il avait abordé la crise financière dans «Margin Call»; en s’intéressant avant tout aux personnages qui s’y retrouvent plongés malgré eux et qui se débattent pour tenter de la comprendre et de la vaincre. Tout le drame réside dans le fait que cette violence semble faire partie intégrante du système capitaliste (représenté par la finance dans «Margin Call» et par le marché du pétrole ici) auquel ces figures appartiennent. Il s’agit bel et bien d’une fatalité. Une fatalité d’ailleurs magnifiquement représentée dans la dernière scène de «A Most Violent Year» qui mêle graphiquement l’objet du désir capitaliste à la violence que tentait de fuir Morales, comme s’il s’agissait de deux éléments qui allaient forcément de pair.

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