La Caricature du mois
Le motard, bonnard?

On est à la fin. La fin du soleil et du beau temps. Tu le sens en sortant de chez toi, tes pas craquent sur le sol semi-gelé, ton haleine renvoie devant toi un filet de buée. C'est habituel, mais significatif: on commence à se les peler pour de vrai. C'est qu'on commence quand même gentiment novembre, faudrait pas déconner avec le soleil, qui ne s'est pas gêné d'en redonner en ce début d'automne. Et ce fut pour le grand plaisir de tous. Certains, parmi tous, en ont certainement profité plus que d'autres: les motards. Les amis de la deux-roues et des tricycles motorisés, même dans nos régions, ont pu faire durer le plaisir. Pour les autres usagers de la route, le motard reste une énigme. La caste casquée nourrit bien des fantasmes et des stéréotypes, dans une fourchette qui varie de la sympathie bon enfant à la haine automatisée. Le P'tit Ju vient justement d'acquérir le permis. Il s'est caché sous un casque pour mieux faire le portrait des routiniers du guidon.

Par LDP, le 03.11.2014 - Ed. 31

Premiers kilomètres: besoin des petites roues?

Au début, vouloir faire de la moto, quand t’es jeune, la vingtaine toute fraîche, ça dépend pas mal de ta mère. La remarque générale, si t’as pas grandi pas dans une famille où la moto a été prêchée et pratiquée avant toi, c’est dans le genre «mais t’es complètement à la masse. C’est dangereux, y a une chiée d’accidents, et en plus c’est souvent des têtes-brûlées les motards, roulent comme des ta-rés.» Voilà. C’est après cette bonne pelletée  d’arguments plus ou moins stéréotypiques, qu’on te répétera à l’envi tout au long de ton initiation, que ta détermination s’incline ou s’aiguise, et que la balance penche d’un côté ou de l’autre. Soit tu écoutes sagement les remarques certes alarmistes mais pas forcément infondées de ta mère, soit tu fais la tête de mule et tu continues sur ta lancée. 

Dans tous les cas, même si on t’a posé les fesses 30 centimètres au-dessus d’un monocylindre dès l’enfance, c’est ton choix. Entre le fantasme de la moto et les premiers kilomètres dessus, y a de quoi refréner la plus belle pièce de motivation qui soit. Le problème le plus fréquent au début, c’est qu’on sait déjà quelle moto on veut, pour se la jouer ouvertement, pour faire vrombir le moindre centimètre cube, sauf que, petit détail, on est jamais monté dessus et on sait pas du tout comment ça marche. C’est plutôt dur de se retrouver face à une bécane qu’on n’arrive même pas à démarrer. Et quand je dis démarrer, je parle même pas de rouler, je parle simplement d’en arriver au bouton d’allumage, si votre modèle en est équipé. Expérience faite par le P’tit Ju, honte garantie.

Enfin, tout moment de gêne a une fin. Quand enfin on est installés, le moteur entre les jambes et l’appréhension au ventre, il est de temps de lancer l’engin. Là aussi, les attitudes de beau-gosse devront attendre. Prendre l’habitude de la position et des changements de vitesse, de l’attitude de la moto en mouvement, c’est pas toujours une partie de plaisir au début. Notre histoire dans les cours pratiques avec instructeurs nous a surtout amenés à une morale fort simple: aussi habile du poignet soit-on, on n’est jamais trop sensible avec la poignée de gaz. Mes camarades apprentis-conducteurs ne pourront que m’approuver. 

Hells Angels vs. Gros Nounours

Soyons francs: même le P’tit Ju, malgré ses déboire de débutant d’abord, a réussi à passer le permis sans trop d’encombres. Je reste donc optimiste pour le reste du monde, y a pas de raison, y a même beaucoup d’espoir, du coup. Une fois l’habitude prise, quelques milliers de kilomètres avalés, l’aisance vient, et on peut enfin se considérer «motard». 

Mais c’est quoi un motard? Enfin, c’est qui? Quand vous croisez les gens, quand vous écoutez votre mère (ou votre père, ou d’autres), l’imaginaire collectif semble avoir donné au «motard» une teneur élevée en matière de cliché. Comme si ces personnes qui roulent sur une bécane ne quittaient jamais leur casque, vissé à leur tête, comme si ces personnes ne vivaient que pour la moto et ne faisaient rien d’autre dans leur vite. «Métier: motard». Comme dans n’importe quelle autre cas, les stéréotypes ont la vie dure. 

Les médias et la culture populaire en tête ont formaté une image un brin limitée du motard. La catégorie «biker», typiquement, a tendance à obnubiler certains faits plus crédibles au sujet des motards. Non, tous les motards ne sont pas des gros bras aux longues tignasses tatoués de bout en bout ou des chauves exacerbés aux lunettes noires cachant un regard méchant. Sous les vestes de protection en cuir, des (grands-)mères et (grands-)pères de familles, campagnards et citadins, des petits, des grands, des maigres, des gros, des blancs, des noirs, des vieux, des jeunes; autant de catégories qu’on choisisse, aussi ridicules et burlesques que celles qu’avaient dit Coluche, le motard n’est à vrai dire pas vraiment une catégorie. Il est tout le monde, comme le sont les automobilistes.

Bien sûr, la «communauté», si on peut appeler ça ainsi, observe généralement quelques règles vis-à-vis des autres deux roues, découlant d’une culture de la solidarité: les signes de salut, les cessions de passage aux usagers plus rapides, le tutoiement et les discussions spontanées. Si certaines de ces marques semblent persister, l’usage dans les faits semblent varier d’un extrême à l’autre, et sont loin d’êtes systématiques. Certains vents mémorables auront laissé des marques dans les esprits des novices; on se sent assez seul à faire signe à autre motard dont le regard vous croise, mais qui semble renvoyer un signal proche de: «tu peux te torcher».

Une caste de têtes-brulées inconscientes?

Ces petites choses qui agrémentent les balades à deux-roues ne font pas pour autant des motards une caste. Plus encore que ces soi-disant signes distinctifs, prétendus dénominateurs d’une communauté fermée sur elle-même, on reproche souvent aux motos et à leurs utilisateurs d’être des «têtes-brûlées», dont l’attitude irrespectueuse et dangereuse en circulation est une constante. Téméraire, rapide, inconscient le motard? Si je devais parler en mon nom et en celui d’amis, mon incommensurable modestie m’enverrait bien loin de cette image. A vrai dire, et c’est peut-être là une conséquence due à l’inexpérience, la haute vitesse a plutôt tendance à m’effrayer. 

L’idée n’est pas non plus de fournir à toutes et tous les aficionados de bécane des excuses péremptoires. Loin de nous l’idée d’excuser à certains leur comportement imbécile et irresponsable. Parce que des débiles à deux-roues, on en trouve aussi, évidemment, et pas des demi-cons. Récemment encore était diffusé à la télévision un reportage sur le comportement des usagers de la route. On y illustrait le cas d’un motard flashé à 196 km/h sur une route à 80 km/h. Le brave homme s’était dit qu’il allait tenter une pointe de vitesse, en short – t-shirt qui plus est. 12 mois de prison avec sursis, au revoir merci, et on ajouterait bien: bon débarras. Bien sûr, les cas aussi extrêmes ne sont pas monnaie courante, mais un comportement dangereux commence souvent bien plus tôt que 196 km/h. 

Il y a motard, motard et motard

Vous l’aurez compris, la caricature du mois est plutôt anti-caricaturale. Peu d’ambition ici, si ce n’est celle d’un débutant de vouloir rendre à la question un certain équilibre en y ayant goûté de l’intérieur. Il n’est question ni de diaboliser les motards, comme cela semble trop souvent être le cas avec des histoires certes répréhensibles mais peu communes pour autant, ni de dédiaboliser les comportements à risque qu’ont certains motards, à l’instar d’autres usagers de la route, et plus largement de la voie publique. Il convient simplement de repeindre et repenser l’image de la deux-roues à sa juste valeur; la moto n’est pas une activité de personnes foncièrement machistes, rebelles et sectaires. On trouvera toujours des motards qui se la jouent gros malabars, ne se sentant plus pisser sur leur grosse cylindrée à respecter des règles archaïques et en se répétant « la moto c’est mieux » d’un air supérieur, mais la plupart du temps le motard est monsieur tout le monde, et on ne saurait le distinguer d’un autre par son caractère ou son image. La moto peut très bien rester un plaisir de conduite sans être un mode de vie à la Fangio pour autant. Pas d’apologie. Plaisir et prudence, quoi.


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Bluestone dit :

Excellent article !




    

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